Dans la vie d'un bordel malaisien (2/3) - les clients
(suite de l'article précédent)
- " Alors, tu veux quelle fille ? Tu veux les voir ? "
Edward s'impatiente un peu. Avec un mélange de fascination et d'aversion, je regarde une à une chacune des photos sans être capable de me décider. D'ailleurs, sur quels critères pourrais-je me baser ? Je n'ai aucune envie d'avoir une relation avec une de ces filles. Tout ce qui m'intéresse, c'est voir ce lieu, essayer de le comprendre, parler avec des filles, parler avec des clients. Mais comment les approcher ? Est-ce que je vais me faire éjecter du bordel, si je leur dis que j'ai simplement envie de parler ? Ca aurait pu être crédible ... Si j'avais eu l'âge d'être grand-père et possiblement sujet à des troubles érectiles. Mais j'ai 27 ans, et ça se voit.
En attendant que je me décide, trois filles passent devant moi. Très maquillées, habillées de robes courtes, et moulantes, toutes ont un petit sac à main dans lequel je devine la présence de tous les accessoires nécessaires à leur profession - capotes, lubrifiant, maquillage. Elles n'ont pas un seul regard pour moi et se dirigent mécaniquement vers la réception, où on les attend, pour les emmener toutes les trois vers leur(s) client(s). Mais qui commande trois prostituées en même temps ?
- " Est-ce que tu voudrais les voir ? Attend, je vais appeler celles qui sont disponibles. "
J'aurais voulu lui dire " NON ! " mais je n'ai pas le temps de faire un geste. D'ailleurs, pourquoi j'aurais dit non ? Par gêne ? Par timidité ? Le temps que je trouve une excuse valable, Edward était déjà revenu avec cinq filles, toutes plus jeunes que moi.
On me les présente par nationalité, sans qu'elles puissent dire un mot, sans qu'on ne me dise leur prénom, leur âge, ou leur couleur préféré. La seule description pertinente semble être " Thaï ", " Viet ", ou " Chinoise ".
Elles ont toutes la vingtaine, et me dévisagent d'une bien étrange façon. Le regard fixe, leurs yeux plantés dans les miens, j'ai énormément de mal à savoir ce qui peut leur traverser la tête. L'une d'entre-elles esquisse un sourire; est-ce que ça veut dire que je lui plais ? Que je semble être moins pire que les clients " normaux " ? S'agit-il d'un simple argument marketing, pour me pousser à la choisir ? Les autres ont l'air de faire la tête, trainent des pieds pour s'avancer, me trouvent peut-être repoussant. Je me sens très mal à l'aise face à leur regard, et j'ai du mal à comprendre comment d'autres hommes peuvent soutenir cette explosion de répugnance qui peut se lire dans tout leur langage corporel.
Je ne sais pas quoi faire, alors je botte en touche.
- " Est-ce que l'une de vous parle Anglais ? Ou Khmer ? "
Elles ne répondent pas. Edward traduit - mais en quelle langue ? - et personne ne réagit. Si aucune ne parle Anglais, dans quelle langue peuvent-elles communiquer entre-elles, ou avec leur " employeur " ? Comment ont-elles négocié leurs " contrats ", si contrat il y a eu ? Le gérant de l'établissement a-t-il un traducteur pour chaque nationalité présente dans son établissement ? Ou bien s'agirait-il de victimes de traite des êtres humains ? Peut-être que ces filles ont subi l'arnaque classique, attirées par la perspective d'un emploi de serveuse, de secrétaire, et forcées à se prostituer pour rembourser la dette qu'elles auraient contracté pour venir en Malaisie.
Je ne sais pas. Trop de questions, trop de honte à être ici. Pas l'envie de donner de l'argent à cet établissement, pas envie de cautionner ça. Mais, en même temps, le désir de comprendre, l'envie de pouvoir avoir une discussion en tête-à-tête avec l'une d'entre-elles. Mais comment faire ?
- " Edward, aucune d'entre elles ne me plait. De toute façon, je veux une fille avec qui je puisse parler. Est-ce que tu as ça ? "
- " Leur parler ? Bon, on a une Thaï qui est à moitié Cambodgienne je crois. Mais elle n'est pas disponible. "
- " Pas grave. J'attendrai. "
Elles repartent.
L'air penaud, un peu honteux de les avoir congédié, et d'avoir menti en disant que je ne les trouvais pas attirantes, je redemande un thé et j'observe à nouveau l'endroit où je suis.
Sur les murs, trois écrans de télévision diffusent la même chaîne ; une chaîne d'infos en continu, ce qui m'a l'air d'être un drôle de choix pour un bordel. Les lumières sont tamisées, et les seules autres décorations murales sont des panneaux interdisant de fumer, ou signalant qu'il y a le Wifi. Bref, on se croirait dans n'importe quel bar du monde, et la typologie des clients n'est pas non plus différente - deux lycéens qui jouent sur leur téléphone portable, un Indien d'environ quarante ans un peu obèse et l'air patibulaire ; deux Chinois en costume-cravate, qui discutent tranquillement entre eux. Il n'y a pas un seul Occidental, pas un seul blanc dans les parages, malgré le fait que nous soyons au beau milieu des vacances d'été.
J'engage la conversation avec l'Indien à l'air patibulaire.
- " Vous aussi, vous attendez de voir d'autres filles ? "
- " Non, je me repose avant d'en choisir une autre ! " répond-il en riant.
Il a l'air de bien connaître l'établissement, et d'avoir " testé " presque chacune des filles qui travaillent ici. Il me donne quelques recommandations dont je me serais bien passé, quelques remarques sur la prestation d'une telle qui fait en plus un massage, ou d'une autre qui ne dit pas non à certaines pratiques.
- " Moi, je viens à Kuala Lumpur tous les mois pour le business. J'ai besoin de me détendre, c'est normal, et les filles d'ici sont mieux qu'en Inde, plus jolies et plus professionnelles. Elles ne sourient jamais mais, au moins, elles bougent un peu. Les Indiennes, on dirait des cadavres, elles ont toujours l'air d'avoir envie de pleurer quoi que tu fasses et elles restent toujours inertes le temps que tu les baises. "
- " Mais les filles d'ici coûtent un peu plus cher qu'en Inde, non ? "
- " Ouais, mais moins cher qu'en Thaïlande et de toute façon, là-bas, y'a trop de monde, trop de blancs. C'est fini, la Thaïlande: le nouveau paradis, c'est la Malaisie ! "
- " Pourquoi ? Y'a quoi de spécial ici ? "
- " C'est pas cher et les filles sont jolies. "
- " Pourquoi les Chinoises valent-elles plus cher que les autres ? "
- " Chais pas. Avant, c'était les moins chères, y'en avait plein partout mais, à mon avis, depuis que la Chine est devenue riche, il y a de moins en moins de filles qui partent à l'étranger. Du coup, elles sont de plus en plus rares. Et puis, la plupart des pornos qu'on voit ici, ils sont Chinois. Jamais vu un porno thaïlandais, laotien ou vietnamien. Forcément, quand tu passes autant de temps à te branler, t'as envie de choper au moins une fois la fille que tu vois. "
- " Et pourquoi les blanches restent hors catégorie, aussi chères? "
- " Bah, c'est les plus belles, tout simplement. "
Et Yumi finit par arriver.
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