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Jour de terreur

Par Tobie @tobie_nathan

CouvTransfugeVendredi 13 — vendredi de terreur

Par Tobie Nathan

dans Transfuge, N° 93, décembre 2015

La terreur n’est pas un sentiment — On ne l’éprouve pas ; on est envahi, jeté au sol, atterré. Il ne s’agit pas davantage d’une émotion, mais d’un phénomène plus archaïque, une paralysie déferlante, qui fige l’âme et le corps. L’équivalent pourrait être le mimétisme de la mort de certains animaux, l’araignée, l’épeire, par exemple, qui, acculée par un prédateur, se recroqueville en position de morte, déjà morte en attendant la mort, déjà morte, pour éviter la mort, peut-être…

La terreur, ce n’est pas la frayeur, qui « glace les sangs », qui s’abat comme la foudre, séparant l’âme, laissant un corps sans désir, mécanique. Susto, disent les hispanisants, le « sursaut » physique qui signe l’échappée du souffle. Asustado, « effrayé », désigne à la fois celui qui s’est laissé surprendre par l’aboiement d’un chien soudain surgi derrière une haie et celui qui a été saisi par un esprit, un démon, dont il a piétiné l’espace à son insu ; un démon qui l’a giflé — « cinglé », dit-on encore de nos jours. Un effrayé n’est pas terrorisé ; il dispose encore de son corps, même s’il s’agit d’un corps sans volonté, déprimé ou déchaîné.

La terreur, ce n’est pas la peur, non plus, émotion cette fois, consciente ou sur le point de le devenir, sorte de raisonnement compacté qui contient, résumée, la trace d’une expérience antérieure. L’enfant qui s’est brûlé sur la plaque chauffante a peur d’approcher la main. La peur est une « raison pratique », au sens propre.

En forêt, au détour d’un chemin, l’homme se trouve soudain face à un tigre. Un instant, il se voit dans le regard de l’animal : un morceau de viande. Devenu substance informe, il est pris de terreur. La terreur n’est donc ni la peur ni la frayeur ; elle se caractérise par une dépossession, un rapt de l’être. Ayant abandonné forme et volonté, les terrorisés sont déjà des captifs.

La terreur est toujours le premier temps de la capture ; à la source de tout esclavage.

Le terrorisme est l’installation, par un pouvoir politique ou par un groupe de pression, d’une sensation permanente de terreur — et toujours pour transformer des vivants autonomes en captifs. Il est faux de prétendre que la violence s’oppose à la politique ; elle est parfois, on le sait, délibérément mise à son service.

On se souvient que La terreur a été un système politique, entre 1793 et 1794, pour annihiler toute velléité d’opposition. La prise du pouvoir par les nazis a été préparée par une décennie de mise en scène délibérée de la terreur. On se souvient aussi de ce que l’on a appelé à juste titre « la grande terreur », ce temps des grandes purges de Staline dans les années 1937-1938 où aucun espace dans l’immensité du territoire soviétique ne pouvait mettre à l’abri de l’imprévisible.

Les attentats de Paris du 13 novembre 2015 sont à l’évidence le premier acte d’une décision de répandre la terreur avec l’intention de soumettre la France de l’insouciance et de la joie de vivre. On ne saurait y répondre que par l’intelligence des stratégies de la terreur ; par les ruses du chasseur et le respect de sa propre vaillance.



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