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Faut-il laisser un pourboire ?

Publié le 10 décembre 2015 par Edelit @TransacEDHEC

Les vacances de Noël aux Etats-Unis riment avec « holiday tipping », une tradition qui consiste à donner des pourboires à toutes les gentilles personnes qui ont été à votre service pendant l’année : femme de ménage, baby-sitter, doorman, coiffeur… Mais pourquoi donner de l’argent à des gens qui ont déjà été payés pour leurs services ? Quasiment obligatoire aux Etats-Unis, le pourboire – qu’il s’adresse aux serveurs, bagagistes, ou chauffeurs de taxi – existe dans la plupart des pays du monde. D’où vient cette pratique un peu vieillotte ? A-t-elle un intérêt économique ou est-elle vouée à disparaître avec la dématérialisation des paiements ?

Le pourboire, ennemi de la démocratie ?

Le mot « tip » serait apparu au 18ème siècle en Angleterre, chez un restaurateur qui eut l’idée de placer sur son comptoir une petite boîte avec l’inscription « To Insure Promptness ». Les clients voulant être servis plus rapidement devaient alors y mettre quelques pièces en plus de la note qu’ils allaient payer. Mais le pourboire a une origine plus ancienne. En Europe, il remonterait au 17ème siècle. L’usage voulait alors que l’on laisse un petit quelque chose aux serviteurs d’une maison lorsqu’on y était invité pour quelques jours afin de récompenser le travail supplémentaire qu’ils avaient dû fournir. Le mot « pourboire » — qui a ses équivalents allemand (« trinkgeld »), portugais (« gorjeta »), et même russe (« na chaï », c’est-à-dire « pour le thé », plus soft) — vient simplement du fait que cet argent était destiné à se payer un coup à boire.

Le pourboire a été importé aux Etats-Unis au XIXème siècle par les riches Américains qui avaient trouvé cette pratique très chic lors de leurs voyages en Europe. Le pourboire est alors un moyen d’épater la galerie, de montrer qu’on a de l’argent. Si aujourd’hui il fait totalement partie de la culture américaine, cela n’a pas toujours été le cas.

Dans les années 1890, certains citoyens, exaspérés de devoir lâcher une pièce à chaque service rendu par leurs larbins, allèrent jusqu’à fonder un mouvement anti-pourboire (anti-tipping movement). En 1916, un certain William Scott publie un livre dédié à la question, The Itching Palm, dans lequel il fustige le pourboire et l’accuse d’être fondamentalement anti-démocratique. Selon lui, la pratique du pourboire est un héritage honteux de l’aristocratie, qui crée une classe sociale servile, soumise à la générosité des plus riches. Oui, il y va fort.

Utilité économique

A quoi sert le pourboire ? Dans un pays comme les Etats-Unis, où il y a bien un salaire minimum mais que les employeurs ne sont pas tenus de verser dans son intégralité (et donc où il est tout à fait possible d’être payé 5$ de l’heure), les pourboires sont une source de revenu indispensable pour certaines professions. Les barmen et les serveurs en restauration en tirent presque 60% de leur rémunération. On comprend mieux pourquoi c’est une véritable obligation d’en laisser.

Ce n’est pas tout. Certains économistes voient dans le système du pourboire un contrat implicite entre le client et le serveur : ce dernier est incité à redoubler d’efforts sous peine de voir sa rétribution lui passer sous le nez… Le pourboire serait un gage de qualité.

Dans les années 1980, un article de l’American Economic Review présente le pourboire comme un moyen pour un patron de faire contrôler ses employés directement par les clients. Et en effet qui est mieux placé pour le faire ? Ainsi, plus un serveur reçoit de pourboire, plus son patron peut le considérer comme efficace.

Pourquoi donne-t-on ?

En réalité, cette dernière théorie est un peu bancale. Des études ont démontré que l’on ne donne pas tellement pour récompenser un service de qualité, mais plutôt pour des raisons complètement irrationnelles

Les clients seraient d’autant plus enclins à donner des pourboires élevés qu’il y aurait une proximité affective forte avec le serveur (ou la serveuse bien sûr, bande de petits coquins). Par exemple les serveurs qui commencent par se présenter par leur prénom recevraient en moyenne 2 dollars de plus que les autres. En fait ça ne tient à pas grand chose… Une autre étude a montré que les hommes donnent 25% de pourboire en plus aux serveuses si elles sont blondes !

Il ne faut pas pour autant négliger le caractère normatif du pourboire. L’utilité de ce geste serait avant tout psychologique : on laisse un pourboire pour avoir bonne conscience, pour ne pas déroger à une règle sociale, voire pour impressionner une jolie demoiselle qu’on invite à dîner… (Même si dans ce dernier cas on évitera de laisser 20 euros à la serveuse blonde susmentionnée).

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Petit tour du monde des pourboires

Aux Etats-Unis, le pourboire est obligatoire et s’élève entre 15 et 20% de la note dans les bars et restaurants. Même chose au Canada. Pour les taxis c’est entre 10 et 15%. Mais il ne faut pas oublier le « holiday tipping », nettement plus généreux. On donnera ainsi au minimum 100$ pour le doorman : de quoi se payer une bonne cuite pour le Nouvel An !

En Europe, le pourboire n’est indispensable qu’en Angleterre, en Ecosse et en Autriche. Il ne fait pas partie de la culture dans les pays scandinaves. Partout ailleurs il reste apprécié.

Devinez qui sont les plus radins en pourboire d’après une étude menée à l’été 2015 ? Les Français bien sûr! Toutefois, pour notre défense, les serveurs français bénéficient d’un salaire minimum, ce qui n’est pas le cas dans tous les pays, et surtout, depuis 1987, le service est compris dans l’addition, rendant le pourboire superflu.

En Asie, le pourboire n’est pas vraiment courant, sauf certaines régions touristiques ; au Japon, il est même considéré comme une insulte ! Enfin, en Afrique et au Moyen-Orient, le « bakchich » est une pratique fortement ancrée dans la culture locale, il est donc difficile d’y échapper. Certains dénoncent même une véritable « économie du bakchich », où le pourboire s’apparente clairement à de la corruption et fait partie de la vie quotidienne. Il n’est ainsi pas anormal de payer la douane ou la police pour qu’elles vous laissent tranquille. Dans un pays comme l’Egypte, le bakchich (qui est à l’origine une forme de charité religieuse) nourrit l’économie informelle et est entré dans les mœurs à cause des fortes inégalités sociales.

Quel avenir pour les pourboires ?

Alors que les paiements par carte ou smartphone sont désormais extrêmement répandus, les pourboires ne risquent-ils pas de disparaître par manque de commodité? Il semblerait que non. Les applications ont en effet intégré cette pratique : ainsi Uber inclut le pourboire au chauffeur dans le montant de la course, et Deliveroo réserve un champ au pourboire pour le livreur. Plus besoin d’avoir des pièces en permanence sur soi !

Malgré un intérêt économique discutable, le pourboire fait partie intégrante de beaucoup de cultures et son existence n’est pour l’instant pas vraiment remise en question. C’est peut-être une bonne raison pour changer nos habitudes et se montrer un peu plus généreux, notamment en voyage.


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