[Première partie] Le premier volet de cet entretien avec Luca Rigazio, spécialiste des systèmes autonomes et de leur interaction avec les humains, est consacrée à l’évolution de la voiture vers l’autonomie totale, et aux enjeux qu’elle suscite.
Director of Engineering au laboratoire de Panasonic dans la Silicon Valley, Luca Rigazio est spécialisé en intelligence artificielle et machine learning. Il a récemment centré ses recherches sur les systèmes autonomes : véhicules sans chauffeurs ou hautement automatisés, robots et drones. L’Atelier l’a rencontré pour discuter de l’avenir de ces technologies et de la place qu’elles occuperont peut-être bientôt dans notre quotidien.
Vous travaillez sur les systèmes autonomes. La voiture sans chauffeur est sans conteste vue comme l’une des innovations les plus spectaculaires en matière de mobilité. Pensez-vous qu’elle finira par être adoptée par le public ? À quel horizon ?
Les véhicules autonomes vont bien sûr occuper une place importante dans le futur. Néanmoins, cela va prendre un certain temps : non pour des problèmes technologiques, mais plutôt pour des questions de législation, d’assurances et de société. A mon sens, il faudra compter une trentaine d’années environ. Mais la technologie est déjà quasiment prête : nous avons aujourd’hui des voitures en grande partie autonomes, c’est le cas des véhicules commercialisés par Tesla, notamment.
Tesla commercialise des véhicules électriques à la pointe de la technologie. Tesla est aujourd’hui l’acteur le plus avancé en matière de voitures autonomes ?Les seules voitures sur les routes capables de se conduire toutes seules sont celles de Tesla. En tant que start-up, ils prennent davantage de risques et permettent à leurs véhicules de faire plus que ceux des autres constructeurs. Il est par exemple possible d’envoyer un texto tout en laissant la voiture se conduire toute seule pendant ce temps. C’est impressionnant, mais aussi légèrement inquiétant, dans la mesure où la technologie utilisée est bien moins développée que celles que Google utilise sur ses voitures autonomes (qui, elles, ne sont pas mises sur le marché). Le nombre de capteurs utilisés, par exemple, est bien plus réduit. Tesla prend donc un risque, dans l’esprit de la Silicon Valley, mais un risque pris sur des véhicules d’une tonne et demie…
Quels bénéfices pensez-vous que les voitures autonomes puissent nous apporter ?
Les être humains ne deviendront pas de meilleurs conducteurs : il y a un plafond aux capacités humaines. Elles peuvent s’améliorer, mais de manière résiduelle, et sur plusieurs générations. A l’inverse, la technologie peut s’améliorer de manière exponentielle. Ainsi, les voitures autonomes adopteront tôt ou tard une bien meilleure conduite que leurs homologues humains, ce qui permettra, entre autres, une diminution des accidents de la route.
Véhicules autonomes et avec chauffeur, l’impossible cohabitation ? Beaucoup sont d’avis qu’il leur faudra atteindre le risque zéro pour être acceptées par le public et pouvoir sillonner les routes…Le risque zéro n’existe pas ! Il y a toujours une possibilité d’erreur. Je pense pour ma part qu’à partir du moment où l’on aura la preuve que les voitures autonomes provoquent moins d’accidents que les conducteurs humains, il y aura des initiatives pour favoriser leur développement. Il s’agira d’un choix politique.
Pensez-vous que voitures autonomes et véhicules traditionnels cohabiteront sur les routes, ou les premières vont-elles intégralement remplacer les suivantes ? Sera-t-il interdit de prendre le volant, dans le futur ?
Interdire toute intervention humaine sur les routes signifie non seulement interdire aux individus de conduire, mais aussi de prendre leur vélo ou de se déplacer à pied ! Or, s’il est envisageable que l’on renonce à conduire si cela réduit le nombre d’accidents, qui défendrait l’idée d’abandonner le vélo et la marche ? À moins de revoir complètement la manière dont nos villes sont conçues, il me semble donc plutôt irréaliste d’envisager un avenir où seuls des intelligences artificielles sillonneront les routes… Tout l’enjeu consiste à rendre ces dernières capables de comprendre et prévoir les comportements humains environnants, avec la part d’incertitude que cela comporte. Lorsqu’on est face à une innovation de rupture, la phase de transition est toujours la plus difficile.