Une de Página/12 ce matin.
Macri dans sa salle de bain le 10 décembre au petit matin !
A la fin de cette réunion de travail, il a reçu divers représentants de plusieurs associations des droits de l'Homme, elles aussi titulaires d'un pavillon sur le campus, dont Abuelas de Plaza de Mayo. La rencontre a été courtoise et, d'après Estela de Carlotto elle-même, peu suspecte de savoir courber l'échine devant le pouvoir macriste, les associations et le ministre sont tombés d'accord sur la plupart des points abordés, y compris la continuité de la politique concernant les crimes d'Etat commis sous la dictature et leurs conséquences jusqu'à aujourd'hui, tous les points sauf un, sur lequel il s'est montré inflexible : les associations soutiennent la présidente du Ministère Public national, la procureur Alejandra Gil Carbó, une kirchneriste convaincue, tandis que le nouveau Gouvernement veut qu'elle quitte ses fonctions car il l'estime trop partisane. Comme il y a séparation des pouvoirs, en théorie en tout cas, la juge devrait pouvoir se maintenir jusqu'à la fin de son mandat mais comme elle a été choisie, entre autres paramètres, pour ses options politiques, la réalité de la séparation des pouvoirs peut être contestée et une autre solution peut apparaître souhaitable, si elle est bien dans la ligne objective et non partisane annoncée par Macri dans son discours d'investiture, mercredi dernier (voir mon article du 11 décembre 2015 sur le sujet). Dans l'ensemble, que cette première rencontre entre ministre et ONG se soit bien passée, qu'un dialogue ouvert et respectueux de part et d'autre ait pu avoir lieu, c'est nouveau et c'est un grand progrès en soi. Ce n'était pas gagné d'avance, eu égard aux réserves graves que les ONG avaient manifestées quelques jours avant le second tour contre la candidature de Mauricio Macri (voir mon article du 20 novembre 2015 sur le sujet).
Quant à la nomination des juges à la Cour Suprême, elle fait hurler l'opposition et un peu au-delà car ce mode de désignation n'a été que très exceptionnellement employé en Argentine et toujours sous des régimes dictatoriaux. Néanmoins, il semble bien prévu par un alinéa de la Constitution dont presque tout le monde avait oublié l'existence. Et si cet alinéa existe, ce que personne ne nie, pas même la rédaction très remontée de Página/12, s'il n'a pas fait l'objet d'une abolition par le Congrès précédent ni lors du retour à la démocratie en décembre 1983, nul ne peut décemment reprocher au Président d'en user pour résoudre le schmilblik d'une Cour Suprême en état d'asphyxie depuis un an, à ne prendre pour repère que la démission du juge Raúl Zaffaroni à la fin 2014 (voir mon article du 15 décembre 2014).
Jusqu'à présent, en régime constitutionnel, et ce depuis l'adoption de la première constitution effective en 1853, l'usage aurait toujours été que l'Exécutif propose un nom et que le Sénat approuve ou rejette le candidat (comme cela se pratique aussi pour l'élévation d'une personne au rang d'ambassadeur). Mais voilà déjà un an que le Sénat ne parvient pas à dégager un accord sur ce point pour émettre un vote. Le premier candidat présenté par Cristina, il y a près d'un an, n'a jamais pu voir sa nomination arriver sur le bureau de la Haute Assemblée, le second, présenté très récemment, n'en pas pas eu le temps. Et le vieux juge Fayt, presque centenaire, vient enfin de quitter définitivement ses fonctions au tribunal suprême. Le nouveau Gouvernement et ses partisans reconnaissent donc que Mauricio Macri a pris une décision à la hussarde mais affirment qu'il fallait la prendre pour remédier de toute urgence à une situation de paralysie complète de la Cour Suprême. Et ce n'est pas faux. Toutefois, là où le bât blesse la démocratie, c'est qu'il sera bien entendu fort difficile pour les adversaires de cette procédure d'introduire un recours auprès de la Cour Suprême pour qu'elle se prononce sur la constitutionnalité ou non de la nomination de deux de ses cinq propres membres... En agissant ainsi, Mauricio Macri a donc mis tout le monde dos au mur. Mais avait-il le choix ? Il est probable que non car au Sénat a majorité reste kirchneriste et avec une belle marge de manœuvre or cette majorité ne donne pas le plus petit indice d'un vague souhait de conciliation sur la moindre question. Dès lors, on voit mal comment cette assemblée aurait approuvé une nomination provenant de la Casa Rosada, surtout aussi tôt dans le processus d'alternance. Souvenons-nous que la plupart de ces sénateurs ont boycotté la prestation de serment au Congrès il y a à peine une semaine (voir mon article du 11 décembre 2015).
A côté de cette situation ubuesque, un autre événement peut nous mettre en état d'alerte : un procureur fédéral vient d'envoyer au juge d'instruction Daniel Rafecas un dossier en le priant de vérifier qu'il ne s'y trouverait pas des éléments nouveaux de nature à faire rouvrir la cause intentée par le procureur défunt Alberto Nisman, il y a bientôt un an, contre l'ex-présidente Cristina Kirchner, dans l'affaire de l'accord avec l'Iran, définitivement reconnu inconstitutionnel puisque l'actuel Gouvernement, qui est contre cet accord, a annoncé qu'il ne ferait pas appel de l'ordonnance. Or, mes lecteurs s'en souviendront, cette tentative d'inculpation pénale de l'ex-présidente était montée jusque devant le Procureur auprès de la Cour de Cassation et avait échoué dans tous ses recours : l'instruction de première instance s'était soldée par un non lieu argumenté par Daniel Rafecas, ce non lieu avait été confirmé en cour d'appel dans des termes très durs pour le défunt Alberto Nisman et le nouveau procureur, Germán Moldes, et le pourvoi avait été rejeté par le procureur près la Cour de Cassation (voir mon article du 21 avril 2015). Or en démocratie, par principe, nul ne peut pas revenir sur la chose jugée, de façon qu'on ne puisse pas juger deux fois les mêmes faits, précisément pour tenir la justice à l'abri des revirements politiques. En droit, l'affaire est donc close. Il va falloir surveiller de très près les décisions qu'est susceptible de prendre ce juge d'instruction, qui est aussi en charge du dossier de corruption (abus d'argent public pour financer la campagne électorale d'un gouverneur kirchneriste, qui a été élu au terme d'un scrutin très contestable par ailleurs), un dossier dans lequel est inculpée Alicia Kirchner, ex-ministre et présentement Gouverneure de la Province de Santa Cruz, dans l'actuelle opposition nationale et qui vient de donner des signes de (très) bonne volonté politique.
Par ailleurs, sur le plan économique, et là sans aucune surprise, Mauricio Macri vient de mettre à bas un pilier de la politique protectionniste de Cristina Kirchner : il a levé les taxes variables sur l'exportation de blé et de viande, baissé (mais non pas levé) celles qui frappent l'exportation de soja (une des exportations les plus rentables pour le patronat agraire mais la plus catastrophique pour les équilibres naturels et sociaux du pays) et supprimé aussi celles qui frappaient l'exportation de produits manufacturés issus de la petite industrie de transformation qui existe en Argentine. J'avoue que je découvre à cette occasion l'existence de cette taxe, qui me paraît absurde. Autant l'on peut comprendre l'imposition de l'exportation de produits alimentaires pour assurer l'approvisionnement du marché intérieur et décourager le développement d'une culture, celle du soja, qui tend à la monoculture avec tout ce que cela implique d'effets désastreux sur l'équilibre écologique et social, autant on peut comprendre l'imposition de taxes prohibitives sur les biens importés pour protéger la production nationale, autant taxer le peu de produits industriels susceptibles de sortir du pays (3), me paraît difficile à justifier d'un point de vue logique et je comprends mieux l'hostilité de l'UIA (union industrielle argentine) contre le précédent gouvernement, malgré les budgets considérables avec lesquels il soutenait et encourageait la Recherche et Développement du secteur.
Du coup, la presse est davantage occupée par le décret concernant la Cour Suprême et cette première mesure en faveur de l'industrie et des PME et seuls Página/12 et l'agence de presse nationale Télam mentionnent la réunion à l'ex-Esma entre ministre de la Justice et ONG des droits de l'Homme. Ce qui m'a permis de constater que Télam montre maintenant une ligne éditoriale très nettement plus pluraliste qu'il y a tout juste une semaine : les manifestations de l'opposition contre la prochaine abolition de la loi des médias (qui empêche la formation de positions dominantes oligopolistiques dans le secteur de la presse, de l'audiovisuel et des fournitures de réseaux Internet) et les analyses de juristes et d'hommes politiques hostiles au décret présidentiel côtoient les dépêches sur les activités et les décisions du nouveau Gouvernement. Comme disait Madame Mère : "pourvu que ça dure !" (4)
Pour aller plus loin :
sur la rencontre entre ministre et ONG lire l'article de Página/12 lire la dépêche de Télam
sur la nomination par décret des nouveaux juges de la Cour Suprême lire l'article de Página/12 lire l'article de Clarín lire l'article de La Nación lire l'article de La Prensa
sur l'éventuelle réouverture d'un procès pénal contre Cristina dans l'affaire de l'accord avec l'Iran lire l'article de Página/12 lire l'article de Clarín lire l'article de La Prensa
(1) La rédaction a choisi une photo publiée par Mauricio Macri au lendemain de son investiture le montrant dans son intimité en train de se faire beau pour les cérémonies de cette matinée historique. Il a sans doute choisi ce mode de communication publique pour couper court aux fantasmes sur son style de vie. Il est notoire qu'il est très riche, il ne fallait pas donner à croire qu'il vivait comme à Buckingham Palace ou à Clarence House, avec un valet de pied pour lui déposer son dentifrice sur sa brosse à dents. Cela aurait fait mauvais effet. Quelques jours auparavant, il s'était montré aussi décorant lui-même un petit sapin de Noël chez lui avec sa fille Antonia, cinq ans. (2) Elle ne comptait plus officiellement que trois membres depuis que le juge Fayt s'est définitivement retiré il y a quelques jours. (3) Surtout qu'il s'agit souvent de technologie de pointe : appareils médicaux pour ne citer que cet exemple et, bien évidemment, toutes sortes de machines agricoles ultra-sophistiquées. (4) Pour mes lecteurs non français : Madame Mère est le titre impérial donné à Laetitia Bonaparte, la maman de Napoléon, qui n'était pas vraiment d'accord avec le régime monarchique héréditaire que son cadet tâchait d'implanter en France et la légende veut qu'elle ait ponctué d'un "Pourvu que ça dure" toutes les décisions de son illustre rejeton après qu'il se soit couronné lui-mêmen le 2 décembre 1804, à Notre-Dame, en son absence (elle séjournait à Rome)... Quand ça a arrêté de durer, la bonne dame a poussé la loyauté maternelle jusqu'à accompagner son fils déchu dans l'île d'Elbe. Et là non plus, sur l'île, ça n'a pas duré ! Cela ne veut pas dire que je souhaite un Waterloo à Macri... Qu'il réussisse plutôt mais dans la ligne de son discours d'investiture !