C’est quand même pas de chance. Alors que Jean-Marie Arnon, pour les trois premiers volumes de « Dinosaur bop », avait conçu des histoires complètes, avec le quatrième, il se lance dans l’exercice du diptyque. Et paf ! L’éditeur Zenda met la clé sous la porte, empêchant ainsi Arnon de nous narrer la suite de « Shaman blues ». Ce qui, apparemment, lui en met un coup, de blues. Puisque ce n’est qu’aujourd’hui, vingt-deux ans plus tard, qu’il peut enfin nous conter les aventures d’Eddy Bochrane et Wanda Statik au Pays des Esprits.
Pour rafraîchir notre mémoire, Arnon est obligé de se fendre d’un bref résumé de la situation, exposé par les dieux de la taïga eux-mêmes, excusez du peu, en ouverture de ce volume. Ceci étant, rien ne vaut néanmoins la relecture de « Shaman blues » pour se replonger dans l’ambiance, voire même celle de « Neanderthal bikini », le tome 3, puisque c’est dans cet opus qu’Eddy Bochrane rencontre Tura-la-Géante, elle aussi au générique de « Notre-Dame de la Taïga », toujours à la recherche du père de son enfant, le sus-nommé Eddy. Dans « Notre-Dame de la Taïga », on retrouve évidemment tous les protagonistes de « Shaman blues » : les Monks, une tribu de chasseurs-danseurs emmenés par le Reverend ; le professeur Radarh et Rrunkh, respectivement chef et guide d’une expédition cherchant le Pays des Esprits, expédition rejointe par Eddy et Wanda dans l’épisode précédent, avant que le couple ne la quitte en cours de route, avant, en tout cas, qu’elle ne soit décimée par les Raiders, une redoutable tribu de pillards nomades emmenée par John Frigöoh, au service d’Izabella la sorcière Monk qui, dans son antre de Notre-Dame de la Taïga, élabore le soleil en poudre, substance destinée à prendre le contrôle mental des autres humains ; Johnny Hyène, mercenaire sans foi ni loi qui tente de prendre le contrôle d’une partie des Monks avant, espère-t-il, de soumettre Izabella à son propre pouvoir, trahissant ainsi celle au service de qui il est censé s’être mis.
A la fin de « Shaman blues », on avait laissé Eddy et Wanda à l’entrée d’une grotte, découvrant le Pays des Esprits. Un Pays des Esprits qui nous confirme ce que l’on supposait depuis le premier tome, à savoir que le monde de « Dinosaur bop » est un lointain et futuriste univers post-apocalyptique, revenu à l’âge de la préhistoire, avec le retour des dinosaures en prime. Un univers apparu sur les cendres de notre propre monde contemporain, puisque, au fil des albums, on pouvait découvrir, au détour d’une case, un cosmonaute, un aviateur, où des carcasses d’automobiles américaines et millésimées fifties. Ici, le Pays des Esprits est une petite vallée perdue et isolée de tout, où les habitants continuent à vivre comme au vingtième siècle, avec ce qui reste de technologie. Occasionnant, on s’en doute, un inévitable choc culturel entre nos héros préhistoriques, mais qui se considèrent comme authentiquement modernes, et ces « esprits » qu’Eddy et Wanda ne peuvent considérer que comme primitifs. Et force est de constater qu’une bonne vieille massue maniée par un pseudo-néandertalien semble plus efficace qu’une arme à feu sans munition ou qui s’enraye faute d’entretien régulier, surtout si, en plus, elle est manipulée par un sapiens chétif. « Notre-Dame de la Taïga » raconte donc deux histoires parallèles, celle d’Eddy et Wanda au Pays des Esprits, qui en profitent pour se relooker façon fifties, même si c’est beaucoup moins seyant que les peaux de bêtes, et celle de l’affrontement tripartite entre les Monks du Reverend, aidés par Tura-la-Géante, les Raiders de John Frigöoh et Izabella, et les Monks contrôlés par Johnny Hyène. L’occasion, pour Arnon, de dessiner quelques grandes scènes de bataille et d’action. Notons au passage que son style a pas mal évolué depuis 1989, date de parution de « L’odeur des filles », le premier volume de la série. Très influencé par le comics américain, ce premier opus était d’ailleurs dédié à Jack Kirby, le dessin d’Arnon, à l’époque, était anguleux, nerveux, aussi sauvage que le monde de « Dinosaur bop ».
On y retrouvait aussi un petit quelque chose du style de Denis Sire. Aujourd’hui, trente-cinq ans plus tard, le dessin d’Arnon s’est arrondi, s’est fluidifié, s’est « européanisé » en quelque sorte. Sans rien perdre de son expressivité ni de son dynamisme. De même, les dinosaures et autres monstres préhistoriques se font plus rares dans ce dernier volume, surtout axé sur les humains, ou supposés tels. Il faut dire que les relations conflictuelles entre tout ce petit monde, pas seulement des individus isolés, mais des tribus complètes, multiplient d’autant les personnages, ne laissant plus guère de place au règne animal. Surtout que le conflit final, et ses ramifications diverses, occupe quasiment la moitié de l’album, sans compter la partie concernant les mésaventures d’Eddy et Wanda dans le village des « Esprits », avec ses nombreux habitants, ce qui rajoute de l’hominidé dans le bazar. Pour terminer, signalons les habituelles références au rock’n’roll, une constante chez Arnon, et dans la série. Outre l’imagerie très crampsienne de l’ensemble (le premier volume était d’ailleurs dédié aux Cramps, en plus de Kirby), personnalisée par Eddy, caricature de Lux Interior, rappelons que les deux héros eux-mêmes nous renvoient à Eddie Cochran et à Wanda Jackson via leurs patronymes. Sans parler des omniprésentes années cinquante, notamment à travers les épaves automobiles disséminées ça et là dans le décor. Parmi les autres protagonistes de l’histoire, on note le clin d’oeil aux Monks, qui furent, dans les années soicante, un groupe garage formé par des G.I.’s américains stationnés en Allemagne et qui, pour coller à leur nom, étaient habillés en moines, avec la robe de bure et la tonsure réglementaire. Quant au personnage du Reverend, il s’agit cette fois d’une référence à James Brown, ce dernier personnifié par le totem de la tribu, baptisé le Godfather, une idole en bois ressemblant trait pour trait au « parrain de la soul ». Et puis il y a Oncle Bo, musicien se produisant sur la scène de l’ « Alligator Wine » (du titre d’une chanson de Screamin’ Jay Hawkins), le nightclub le plus hip de tout le territoire Monk, dont Johnny Hyène a pris la direction. Oncle Bo, c’est évidemment Bo Diddley, accompagné de Jerome de Kro aux maracas (Jerome Green fut le plus fidèle des musiciens de Diddley entre le début des années cinquante et le milieu des années soixante) et de la Duchesse (the Duchess, de son vrai nom Norma-Jean Wofford, restée célèbre pour ses tenues ultra moulantes et ses mouvements de hanches permanents sur scène, fut la seconde guitariste féminine, après Peggy « Lady Bo » Jones, à accompagner Bo, durant les années soixante). Bo Diddley, le plus primitif de tous les pionniers du rock’n’roll, ne pouvait pas ne pas trouver sa place dans cette série. « Notre-Dame de la Taïga » conclut donc le diptyque entamé avec « Shaman blues ».
Prudent, Jean-Marie Arnon n’a rien fait figurer à la fin de l’album, ni la mention « A suivre », ni le mot « fin », laissant ainsi la porte ouverte à toutes les conjectures. Certes, il serait dommage de ne pas retrouver Eddy et Wanda, et leurs rapports amour-haine perpétuels, dans de nouvelles aventures, mais il serait tout aussi dommage d’attendre à nouveau près d’un quart de siècle pour cela. Donc, « wait and see » comme disent nos amis anglo-saxons, ou « Ruunk ! », comme le soutient Rrunkh, l’un des survivants de cette histoire, dans la dernière case.
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