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Journal d’un (faux) enseignant – Épisode 5 : Quand France Inter vient à ta rencontre

Publié le 17 décembre 2015 par Swann

Parfois, je ne comprends pas tout à la vie. J'essaie et j'espère y arriver, d'être quelqu'un d'assez discret. Je n'aime pas attirer l'attention sur moi. Et parfois, tu remarques même en étant discret, on te montre que, peut-être, tu peux être pertinent.

À vrai dire, il y a cinq ans, je voulais travailler dans le monde du journalisme. J'ai toujours aimé ce monde et même en étant enseignant j'ai l'impression d'en faire encore partie. Malheureusement, j'ai deux défauts :

  • Je ne sais pas bien écrire (faute au manque de lecture dans mon enfance)
  • Je ne sais pas bien parler (faute au surplus de mots dans ma tête et au manque de vocabulaire de ma part).

J'avais fait de la radio pour Radio Campus Paris. Une belle époque, où je naviguais de salles de concert en salles de concert. J'adorais faire cela, mais je ne me sentais pas légitime, même si on avait parfois loué mon projet, qui était de parler d'actualité nordique. J'ai découvert nombre de personnes à cette époque là et je vous en reparlerai dans un article plus précis, prochainement.

Mais revenons à mon métier d'enseignant. L'été dernier, autour d'un moka d'un bar bobo comme je les aime, Swann et moi avions dit en s'amusant : " tiens, l'année prochaine on pourrait faire des billets d'humeurs sur nos " faux " métiers ". Nous voulions dire par là que nos statuts étaient plutôt précaires et manquait d'un futur sûr. Et il aurait été intéressant de le faire découvrir au plus grand nombre.

Sauf que Swann ne blaguait pas et elle m'a vraiment proposé d'écrire sur mon métier d'enseignant contractuel, un enseignant qui ne vaut pas moins et pas plus qu'un autre enseignant. La seule différence est dans le salaire ! (Je vous renvoie Journal d'un (faux) enseignant - Épisode 0)

En écrivant ces articles, j'avais envie de faire découvrir le métier de l'enseignement, ses conditions pas toujours faciles, surtout quand vous voyagez sur trois établissements REP+ et j'avais envie de partager ma passion ou mes colères sur le monde de l'éducation.

Journal d’un (faux) enseignant – Épisode 5 : Quand France Inter vient à ta rencontre

Et puis il y a quelques semaines, je ne pourrais pas vous dire comment, mais une journaliste de France Inter, oui la première radio généraliste de France, avec près de deux millions d'auditeurs par jour, m'a contacté. Parfois, je suis surpris, mais là !? Pourquoi moi ? Surtout que je suis quand même discret, même sur les réseaux sociaux. Ne serais-je pas aussi stupide que ça ? Elle me contacte donc un soir et me pose une dizaine de questions sur ma situation de contractuel, d'enseignant changeant chaque année d'établissement et surtout comment dans cette situation là, ai-je vécu cette année 2015 qui fut plus que rude avec trois journées d'attentats (deux en janvier et une en novembre).

A ce niveau-là, je ne pensais être qu'une aide pour une journaliste que j'avais souvent entendue sur Le Mouv' et sur France Inter. Je ne pensais vraiment pas que l'on puisse m'appeler à nouveau, afin de demander à suivre une de mes classes. Genre ma classe ? Genre moi, depuis quand je fais du bon travail et depuis quand la première radio de France pourrait s'intéresser à mon établissement, qui plus est, alors que je fais partie des enseignants les plus discrets.

Donc voilà, l'idée est lancée, faisons un reportage sur le climat ambiant dans un collège de cité, après une année d'attentats. Pour ne pas vous cacher, l'organisation n'est pas aussi simple qu'elle n'y parait. Bien sûr, il est naturel de demander l'avis du chef d'établissement, mais le rectorat a aussi son mot à dire et il faut attendre son accord. Une fois l'accord donné, il faut organiser la journée, préparer les enfants à l'accueil d'une journaliste venant de Paris spécialement pour eux, etc.

Jeudi 17 Décembre, 11h. Nous y voilà ! France Inter entre dans le collège. Une semaine après un conseil de classe où la petite moitié de la classe a reçu des avertissements de comportement, la classe est métamorphosée. Alors que la journaliste entre dans la classe et se présente, l'ensemble de la classe, qui d'habitude est au combien bavarde, devient timide.

Journal d’un (faux) enseignant – Épisode 5 : Quand France Inter vient à ta rencontre

Le début fut rude. À la question " Comment avez-vous vécu cette année avec les attentats ? ", les élèves étaient timides. Avec ma collègue enseignante et la journaliste, nous avons dû les rassurer. En fait, pour en avoir discuté pendant et après, les élèves n'avaient pas conscience de ce que nous faisions. Ils n'avaient, pour la plupart, pas compris que France Inter était une grande radio, que nous serions diffusés dans une grande émission de la grille ou encore, que la journaliste était une spécialiste des grands reportages.

Avant de commencer à se lâcher, nous avons aussi constaté, que certains avaient peur. Peur de quoi ? Peur que leurs prénoms soient dévoilés à la radio ! Car oui, en début de semaine j'avais déjà entendu cette peur. " M'sieur, moi j'veux pas parler ou être filmé, j'veux pas que les terroristes me retrouvent et viennent me tuer ". Ces petits, faut pas le dire trop fort, même s'ils peuvent parfois être insupportables, ils sont sublimes d'intelligence et de réflexion ?

Et pendant l'heure entière que nous avons passée avec la journaliste, je dois bien vous l'avouer, ils nous ont parfois mis les larmes aux yeux et donnés la chair de poule. Ces élèves ont besoin de parler et peut-être que nous n'avions pas assez pris conscience de cela :

" En fait, quand on rentre chez nous le soir à 17h, on a peur parfois. Nos parents sont inquiets. "
" Moi, je me suis fait insulter, parce que je portais le voile dans la rue, mais ça se voit que je suis pas méchante "
" Dans la religion, il n'y a pas écrit qu'il faut tuer et c'est pas bien de tuer, surtout qu'il y avait tout le monde "
" En fait, on a peur, parfois on se dit qu'ils pourraient arriver dans notre collège et nous tuer "
" Il faudrait plus de contrôles devant le collège, ça ferait moins peur "

La discussion timide au début, est donc devenue une belle séance pédagogique et radiophonique. Et elle fut tellement riche et instructive, que j'ai oublié beaucoup des interventions.

Parfois, je passais avec ma collègue dans les rangs et les élèves me disaient " Monsieur, j'ai le droit de dire ça ou ça ". Mais oui, prenez la parole JEUNESSE DE FRANCE. Putain, on nous a volé notre parole pendant trop longtemps, PRENEZ LA PAROLE ! EXPRIMEZ VOUS, MONTREZ COMME LA FRANCE DES CITES EST BELLE ! Oui, on nous a trop enfermés dans des clichés, " la ZEP c'est le danger ", " les cités c'est la guerre " ! La révolte, de ma part, je la sens monter de plus en plus. Mais je n'ai plus les moyens pour la mener !

Je n'ai plus les moyens ou peut-être que je ne les trouve pas, dans tous les cas, j'espère qu'avec ce reportage, certains auditeurs pourront voir qu'en Île de France et qu'en Province, les problématiques sont les mêmes et que nous - enseignants, parents, élèves, associations et aussi journalistes - devons nous associer pour redorer l'image des cités, écorchée par certains médias. J'ai grandi dans des quartiers populaires, aujourd'hui, je me sens bobo parisien et j'ai mal. Je me sens incompétent et impuissant !

De cette journée, je retiendrais donc la chair de poule que j'ai eu quand certains des élèves les plus timides de la classe se sont exprimés. Je retiendrais aussi que certains ont raté leur bus, afin de rester avec la journaliste et faire un final d'anthologie. Je retiendrais aussi, que certains ont voulu rester en classe pour continuer la discussion et surtout, je ne retiendrais qu'une et unique phrase qu'ils ont posée à la journaliste " Mais, vous nous demandez si on a peur, mais vous, les adultes, vous avez peur aussi depuis les attentats ou pas ? " . Cette question, je ne l'attendais pas de la part d'une élève. Et j'en ai eu les larmes aux yeux. Ces petits m'auront tellement ému en quatre mois de cours !

Je suis fier de ces élèves, qui nous posent parfois des problèmes en classe, mais qui sont formidables. On nous demande souvent ce que cette génération va faire dans le futur. Et bien, si l'école continue de les suivre, de jouer son rôle, je suis sûr qu'elle ira loin. Certes, il y aura des complications en route, mais qu'importe ! SOYONS FIERS DE CETTE JEUNESSE !


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