: cuisine banale
: cuisine d’un bon niveau
: cuisine intéressante et gourmande
: cuisine de haut niveau… à tous les niveaux
: cuisine exceptionnelle
Kei et l’Oreiller de la belle Aurore
Ça commence comme un titre de conte de fées ou une aventure de Tintin. Pourtant, c’est une affaire sérieuse et bien réelle. Le grand chef Kei, au talent dévastateur, a décidé de s’attaquer à un monstre sinon un monument de la cuisine française traditionnelle. Une recette comme on n’ose plus en faire, où il faut travailler 48 heures pour arriver à la perfection de la chose, un challenge de plus en plus difficile au pays des 35 heures.
Au départ, une histoire d’amour. Comme souvent au XIXème siècle, la recette fut dédiée à une femme. Belle tradition et inspiration des chefs en ces temps. Difficile de l’imaginer aujourd’hui. Claudine-Aurore Récamier était la mère de Brillat-Savarin. Un des seconds du maître était secrètement amoureux d’elle et créa cette recette, complexe et compliquée, en son honneur. Il se rêvait vraisemblablement sur son oreiller… Il s’agit d’un pâté en croûte de forme carré, originaire du Bugey, dont Lucien Tendret donna la recette dans son livre « La Table au pays de Brillat-Savarin ». A cette époque, la recette était à base de deux farces, l’une de veau et de porc, l’autre de foies de poulet, de perdreau, de champignons et de truffes. On y ajoutait des filets de noix de veau marinés, des aiguillettes de perdreau rouge, et de canard, d’un râble de lièvre, des blancs de poulet et des ris de veau blanchis, champignons et truffes. Riche, imposant même, puissant, carnivore, la recette se perpétua surtout à Lyon où le traiteur Reynon en fait toujours à chaque période de Noël et de fin d’année.
A Paris, seul le grand Gérard Besson osa se coltiner avec le monstre. Spécialiste du gibier et des champignons, doublement étoilé au Michelin en 1981 et pendant plus de vingt ans, MOF, il y arriva à tel point que les gourmets et les curieux se donnaient rendez-vous en son restaurant chaque fin d’année pour découvrir ou déguster cet Oreiller de la Belle Aurore.
Depuis l’année dernière, Kei a repris le flambeau pour continuer de faire vivre cette recette mythique du patrimoine gastronomique français, et ce n’est pas là le moindre de ses mérites.
Amoureux et curieux de la tradition, il n’est pas un copieur, il n’aime pas le copié-collé. Il réinterprète la recette à sa manière, à son style, sans en changer l’esprit, mais en le mettant à son goût et à celui de notre temps. Après cette première expérience, on peut dire que le plat y gagne en légèreté, en finesse, mais ne perd rien de ses saveurs fondamentales.
Sa pâte de pâté en croûte est magnifique. Bien dorée, resplendissante et croustillante à souhait, badigeonnée au beurre ou à l’œuf, elle abrite en son sein sur une base de colvert, du lapin, lièvre, grouse, colvert, lard, cochon, foie gras, pigeon ramier, ris de veau, blanc de volaille, faisan et perdreau… Il ne manque pas grand monde à l’appel ! Présenté en salle sur un plateau, le maître d’hôtel le coupe en deux et sert à l’assiette accompagnée d’une sauce de cuisson crémée. Quel parfum, quelle finesse, que de saveurs harmonieusement équilibrées, quelle cuisson parfaite, quel plat chaleureux et généreux, quelle finesse alliée à une belle puissance des goûts, quelle sauce qui rehausse en même temps qu’elle adoucit les viandes ! On ne s’en lasse pas, on en reste pantois, heureux et reconnaissant. Un pur chef-d’œuvre.
Le sommelier a choisi un Faugères, cuvée Les Malpas, une cuvée rare en 100% syrah, du Château de la Liquière, 2012, puissant, riche et parfait sur l’Oreiller…
Ce plat est proposé par Kei Kobayashi dans le cadre de son menu dégustation qui comporte quelques merveilles qu’il ne faut surtout pas mésestimer. Un festival de fraîcheur, d’idées géniales, de réalisations parfaites, de maîtrise absolu des cuissons et des présentations où chaque assiette est un tableau épuré et d’une précision diabolique. Il s’ouvre par trois amuse-bouches d’une rare perfection : Granité au sisho rouge, Maki aux carottes et sa mayonnaise aux agrumes, et Gougère au parmesan et au gorgonzola, plus une pâte à chou (divine) emplie de crème aux fromages qu’une véritable gougère traditionnelle.
Beauté et saveurs presque printanière avec le Jardin de légumes croquants, saumon fumé d’Ecosse, mousse de roquette, émulsion de citron, vinaigrette de tomates, et crumble d’olives noires.
Qui ne connait pas les fameux Gnocchis de Kei ? Tant pis pour vous. Douceur, suavité et coup de force du jambon.
Au passage, un plat magnifique, typiquement Kei par la subtilité et la précision : Bar de ligne et son écaille croustillante (on la mange, elle est extraordinaire), condiments agrumes pour une touche d’amertume bienvenue.
Force et douceur, cuisson au millimètre, les Langoustines d’une fraîcheur extrême sont à peine pochées et continuent de cuire dans la cocotte de service, quelques secondes supplémentaires pour arriver à la perfection. Elles sont fumées au foin et accompagnées d’une bisque de homard, concentrée et fort goûteuse. Contraste, choc ? Non, harmonie toujours…
En final, Vacherin agrumes et basilic, en sphère, sur le citron, doux et beau à la fois.
Excellent choix de vins au verre sélectionné par le sommelier tout au long de ce repas d’exception, accueil parfait de classe et de simplicité, et service plus que parfait. Un des grands repas de l’année, sans aucun doute.
5, rue du Coq Héron75001 Paris
Tél : 01 42 33 14 74
www.restaurant-kei.fr
M° : Louvre
Voiturier
Fermé jeudi midi, dimanche et lundi
Fermé Pâques, Noël, et août
Menu déjeuner : 52 € (5 plats) – Dégustation : 96 € (8 plats)
Menu dîner : Découverte à 99 € (6 plats) sauf samedi soir
Dégustation : 145 € (8 plats)
L’Oreiller de la belle Aurore est proposé dans le menu dégustation du midi ou du soir avec supplément de 30 €