Jusqu'au 10 janvier 2016
« Lorsque l’esprit aura perdu l’habitude de voir dans un tableau une représentation d’un morceau de nature, de Vierges et de Vénus impudiques, alors seulement nous pourrons voir une oeuvre purement picturale. » (Kasimir Malevitch)
Avec « À la recherche de 0,10 – La dernière exposition futuriste de tableaux », la Fondation Beyeler célèbre un moment mémorable pour l’évolution de l’art moderne et contemporain. L’exposition « 0,10 » a eu lieu en 1915 à Petrograd (nom que prit la capitale russe peu après le déclenchement de la Première Guerre mondiale, pour remplacer celui de Saint-Pétersbourg, aux consonances germaniques) et allait s’affirmer comme l’une des plus marquantes du XXe siècle. Saint-Pétersbourg est ainsi devenue
le berceau de l’avant-garde russe : avec « 0,10 », et après « Venise », « Vienne 1900 » et « Le Surréalisme à Paris », la Fondation Beyeler poursuit sa série d’expositions consacrées à des villes qui ont joué un rôle déterminant dans l’évolution de l’art moderne.
« 0,10 » marque un véritable tournant dans l’histoire de l’art moderne et incarne le moment historique où Kasimir Malevitch a réalisé ses premières toiles non figuratives tandis que Vladimir Tatline se faisait connaître du public par ses contre-reliefs révolutionnaires. La plupart des autres participants de l’exposition originelle sont également représentés dans la version reconstituée de la Fondation Beyeler :
Natan Altman, Vassili Kamenski, Ivan Klioune, Mikhaïl Menkov, Vera Pestel, Lioubov Popova, Ivan Pouni (Jean Pougny), Olga Rozanova, Nadejda Oudaltsova et Marie Vassilieff.
« À la recherche de 0,10 – La dernière exposition futuriste de tableaux » rend également hommage à l’oeuvre iconique de Kasimir Malevitch, « le Carré Noir » dont elle célèbre le centenaire. Cette toile monochrome relevait de la pure provocation, car elle ne montrait qu’une surface noire légèrement déformée, entourée de blanc.
Lors de l’exposition d’origine, elle était de surcroît accrochée dans ce
qu’on appelait l’angle de Dieu, où se trouvaient traditionnellement les icônes qui décoraient la maison.
Malevitch, Supremus n° 50, huile sur toile, Stedelikj Museum Amsterdam
Sans compromis et énigmatiques, les oeuvres du suprématisme imposèrent un brutal changement de paradigmes sur la scène artistique.
Ces oeuvres étant par ailleurs rarement prêtées, c’est la première fois qu’on pourra voir en Suisse une aussi riche présentation d’oeuvres suprématistes. Plusieurs années de recherches et de longs échanges scientifiques avec des musées russes de renom ont précédé cette collaboration en cette année du centenaire du Carré noir. C’est ainsi qu’ont eu lieu en Russie, dès 2008, dans le cadre de collaborations de très grande qualité, de premières expositions individuelles consacrées à Alberto Giacometti et Paul Klee (2013), cette dernière sous forme d’une coopération entre la Fondation
Beyeler et le Centre Paul Klee.
Ces oeuvres et documents proviennent de musées, d’archives et de collections particulières. Outre la galerie Tretiakov de Moscou et le Musée russe de Saint-Pétersbourg, 14 musées régionaux russes ainsi que d’importants établissements internationaux comme le Centre Georges-Pompidou de Paris, le
Stedelijk Museum d’Amsterdam, le Musée Ludwig de Cologne, la Collection George Costakis de Thessalonique, l’Art Institute de Chicago et le MoMa de New York ont contribué à cette exposition en acceptant de prêter des oeuvres rares et précieuses.
Vladimir Tatline
Contre-relief angulaire, 1914
Tôle, cuivre, bois, câbles et éléments de fixation, 71 x 118 cm
Musée russe, Saint-Pétersbourg
© 2015, State Russian Museum, St. Petersburg
Pour la première fois de l’histoire des expositions russes et occidentales, ces oeuvres remarquables sont à nouveau rassemblées dans les salles de la Fondation Beyeler, complétées par des travaux des mêmes artistes, datant de la même période, afin de redonner vie à l’atmosphère tout à fait singulière et vibrante d’énergie du renouveau artistique russe des débuts du XXe siècle.
Le commissaire invité est Matthew Drutt, qui a déjà été responsable des grandes rétrospectives Malevitch du Musée Guggenheim de New York et de la Menil Collection à Houston.
On peut voir simultanément à la Fondation Beyeler l’exposition « Black Sun ». Celle-ci présente des oeuvres de 36 artistes des XXe et XXIe siècles qui utilisent des moyens d’expression aussi divers que la peinture, la sculpture, l’installation et le film, sans oublier les interventions artistiques dans l’espace public. Conçue comme un hommage à Malevitch et Tatline, « Black Sun » explore à partir d’une perspective actuelle l’immense influence, encore sensible aujourd’hui, de ces deux représentants de
l’avant-garde russe sur la production artistique. Cette exposition a été réalisée en étroite collaboration avec certains des artistes exposés.
Mikhaïl Menkov
Journal, 1915
Huile sur toile, 71 x 71 cm
Musée d’art régional, Oulianovsk avec le
soutien du Centre d‘Etat des Musées et des Expositions ROSIZO
L’exposition d’origine « 0,10 », organisée par le couple d’artistes Ivan Pouni et Xénia Bogouslavskaïa, fut inaugurée le 19 décembre 1915 à Petrograd avec plus de 150 oeuvres de 14 artistes de l’avantgarde russe, dont la plupart étaient des partisans de Malevitch ou de Tatline. Un tiers seulement des 150 oeuvres exposées durant l’hiver 1915-1916 à Petrograd est parvenu jusqu’à nous. L’exposition se tenait dans la Galerie de Nadejda Dobytchina, considérée comme la première galeriste de Russie. Dès 1911, elle avait converti plusieurs pièces de son spacieux appartement en salles d’exposition et était très connue des milieux artistiques.
Le titre « 0,10 » (zéro-dix) n’est pas une formule mathématique mais un code reposant sans doute sur une idée de Malevitch : le zéro devait symboliser la destruction de l’ancien monde – y compris celui de l’art – en même temps qu’un nouveau départ. Le chiffre dix se réfère au nombre de participants initialement prévu. Les adjectifs « dernière » et «futuriste » contiennent également un message chiffré : il s’agissait de montrer que l’on cherchait à prendre ses distances avec l’influence du futurisme italien et même à s’en libérer. Voilà qui donne la mesure de la rapidité avec laquelle les différentes orientations stylistiques se succédaient : alors qu’au début de 1915, le futurisme enthousiasmait encore, on prônait son abandon dès la fin de la même année. Des prises de position passionnées et des débats houleux avaient agité les participants avant l’exposition, dont l’organisation avait fait l’objet de modifications de dernière minute. C’est ainsi que le nombre définitif d’exposants n’était pas celui qui était annoncé dans le titre. Certains artistes firent faux bond au dernier moment, d’autres s’ajoutèrent à l’improviste. Finalement, 14 artistes exposèrent leurs travaux – 7 femmes et autant d’hommes.
Dans la Russie prérévolutionnaire, les organisateurs d’expositions tenaient en effet à la parité des sexes.
Lyubov Popova, portrait of a Lady, museum Ludwig Köln
Les travaux de deux participants tranchaient sur les autres en s’engageant dans des voies d’une nouveauté et d’un radicalisme extrêmes qui allaient marquer durablement l’évolution artistique. Le premier était Kasimir Malevitch qui, dans le cadre de La Dernière exposition futuriste de tableaux 0,10, explorait dans ses toiles entièrement abstraites, constituées de formes géométriques, une dimension jusqu’alors inconnue des beaux-arts. Il inventa pour désigner ses créations le terme de
« suprématisme » (du latin supremus – « suprême »), exprimant ainsi sa volonté de jouer un rôle majeur dans l’art. Le second était Vladimir Tatline qui, avec ses sculptures elles aussi abstraites créées à partir de matériaux étrangers à l’art, proposait des solutions nouvelles pour une sculpture affranchie de son socle classique. Même si l’exposition d’origine était loin d’être homogène – on y observait une
grande diversité de styles artistiques et de programmes esthétiques –, elle fit l’effet d’un véritable électrochoc, sonna le glas du cubo-futurisme en tant que tendance dominante de la peinture russe et ouvrit la voie à des expériences totalement inédites. Dès le lendemain de cette manifestation, Malevitch et Tatline s’imposèrent comme les chefs de file de l’avant-garde européenne.
Nadezhda Udalstova, selfportrait galerie Tretjakow, Moscou
Le projet de la Fondation Beyeler ne peut évidemment pas prétendre proposer une reproduction fidèle de l’exposition de 1915 – un grand nombre des oeuvres exposées à cette occasion ont en effet disparu ou ont été détruites –, mais on peut y voir de nombreuses oeuvres originales de cette exposition, complétées par d’autres chefs-d’oeuvre des mêmes artistes, datant de la même période. Les visiteurs se
feront ainsi une impression très concrète de l’énergie artistique débordante de la Russie du début du XXe siècle.
Une deuxième exposition illustre l’influence que « 0,10 » exerce aujourd’hui encore sur les artistes :
« Black Sun » reconstitue à l’aide d’oeuvres d’artistes contemporains le parcours de l’abstraction et du noir, mystérieuse « non couleur ».
Olafur Eliasson, Remagine, Kunstmuseum Bonn
On peut voir « À la recherche de 0,10 – La dernière exposition futuriste de tableaux » et « Black Sun » jusqu' au 10 janvier 2016 à la Fondation Beyeler.
L’exposition « À la recherche de 0,10 – La dernière exposition futuriste de tableaux » a été réalisée grâce au soutien de :
Presenting Partners AVC Charity Foundation
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Heures d’ouverture de la Fondation Beyeler :
tous les jours 10h00–18h00,
le mercredi jusqu’à 20h00