[Critique] ROCKY 3 : L’ŒIL DU TIGRE
Titre original : Rocky III
Note:
Origine : États-Unis
Réalisateur : Sylvester Stallone
Distribution : Sylvester Stallone, Talia Shire, Mr. T, Burt Young, Carl Weathers, Burgess Meredith, Hulk Hogan…
Genre : Drame/Suite/Saga
Date de sortie : 12 janvier 1983
Le Pitch :
Désormais Champion du Monde des Poids Lourds, Rocky Balboa profite de son succès et enchaîne les victoires. Riche, adulé, il semble intouchable. Pourtant, un jeune boxeur, aussi puissant qu’agressif, s’est mis en tête de lui dérober son titre. L’occasion pour Rocky de se remettre en question, notamment avec l’aide de son ancien adversaire et désormais ami, Apollo Creed…
La Critique :
Hit de l’été 1982 aux États-Unis, Rocky III précède de quelques mois Rambo premier du nom, qui lancera l’autre franchise lucrative de Sylvester Stallone. Deux films aussi différents que particulièrement décisifs dans la carrière de Stallone, alors en passe de devenir une authentique superstar d’Hollywood.
La célébrité est d’ailleurs au centre de la dynamique du troisième volet des aventures du boxeur gaucher de Philadelphie. Rocky n’est plus un perdant. Il a gagné et est devenu Champion du Monde des Poids Lourds. Sa gloire est totale, son compte en banque est plein, et aucun défi ne semble trop grand pour lui. Encore une fois écrit et réalisé par l’acteur, Rocky III étudie les effets de cette célébrité. Une célébrité éphémère dans Rocky II, plus affirmée ici, qui transforme le zonard en gentlemen. Fini la veste en cuir, le chapeau et les mitaines pour Rocky. Il se trimbale dans une belle bagnole et s’habille avec du sur-mesure. Même sa coiffure est impeccable. Le décalage est grand entre les débuts, dans la rue, et ce nouveau mode de vie, plus oisif.
Ce n’est pas un hasard si Rocky III arrive à ce moment précis de la carrière de Stallone. De plus en plus sollicité, le comédien fait également évoluer son alter-ego et en profite pour livrer ses propres ressentis sur les effets secondaires d’une trop grosse exposition médiatique. On a souvent reproché à Sly de s’être un peu trop compromis dans des projets caractérisés par leur morale grandiloquente. Des films comme Rocky IV, où il réchauffe tout seul la Guerre Froide ou encore Rambo 3, dans lequel il met en déroute l’armée russe. Pour l’heure néanmoins, à l’aube des années 80, Stallone n’en est pas encore là et Rocky III dénote d’une véritable prise de recul, par rapport à sa propre condition. Depuis la sortie de Rocky, plus que toutes les interviews du monde, les films de la saga ont beaucoup dévoilé sur la personnalité et les ressentis de leur auteur. Rocky est Stallone. Stallone est Rocky et, en 2015, au moment où sont écrites ses lignes, à quelques semaines de la sortie de Creed, c’est plus que jamais le cas.
En cela, le troisième long-métrage jette un regard critique sur le strass et les paillettes. Fidèle à lui-même, malgré la belle maison et les vêtements de luxe, Balboa embrasse son nouveau quotidien avec la naïveté d’un enfant. Autrefois maladroit avec les médias, il est devenu un pro de la communication et se prête volontiers au jeu des journalistes et des photographes. Son entourage par contre, sera son garde-fou. Mickey tout d’abord, son entraîneur, en passe de tirer sa révérence, puis Adrian, toujours là pour le remettre sur le droit chemin, Paulie, la franchise incarnée, et enfin Apollo, qui passe d’adversaire à entraîneur, auquel on doit la fameuse formule « l’œil du tigre ». Le salut, Rocky ne le trouvera jamais dans les jacuzzis et les Jaguar, mais dans la rue. Dans des salles de gym un peu crasseuses, dans la sueur, le sang et les larmes.
Là est le discours de Stallone dans Rocky III : en gagnant, Rocky s’est perdu et seul un retour aux sources pourra lui offrir la rédemption.
On a souvent reproché à Rocky III d’inaugurer le virage pris par la saga à l’aube des glorieuses années 80. Pourtant, là encore, Stallone se montre très cohérent, envers lui-même, envers la démarche globale et surtout envers son personnage. Il était nécessaire de confronter Rocky à un nouveau mode de vie. De montrer ses réactions face à une situation inédite et de commencer à critiquer de façon assez acerbe les magouilles du monde du sport, et de la boxe en particulier. Démarche que Sly fera perdurer avec Rocky V.
Avec le temps, Rocky III est devenu une sorte de monument. Un film culte aussi aimé que moqué. Indissociable du tube de Survivor, Eye of the Tiger, le long-métrage, multi-rediffusé depuis sa sortie (plus gros succès pour Sly à l’époque avec un total de 250 millions de dollars récoltés dans le monde), il apparaît moins âpre et plus clinquant que les deux précédents. C’est indéniable, mais en même temps, le sujet s’y prête. L’imagerie est aussi importante. Parfaitement ancré dans les années 80, que ce soit au niveau des coiffures, des fringues ou de la musique, le film est un pur produit de son époque. Il ne possède pas la classe rugueuse de Rocky et donne dans le spectaculaire bien volontiers. Les combats sont ainsi plus graphiques, plus chorégraphiés et les effets totalement raccord avec certains clichés que le métrage contribuera d’ailleurs très largement à populariser. Traversé de punchlines légendaires (Clubber Lang : « Je vais te péter la gueule » – Rocky : « On verra ça »), il fait entrer Rocky dans une nouvelle décennie, avec tout ce que cela comporte.
Entre pur drame (le film ne s’interdit pas de verser dans l’émotion pure et dure) et action (les combats, plus nombreux et plus violents, mais aussi peut-être moins réalistes), Rocky III bénéficie aussi de l’outrance d’un Mister T. en roue libre. Parfait, ciselé, il est monumental et enchaîne les répliques percutantes. Sur le ring, pas de demi-mesure non plus pour celui qui marquera les esprits dans la peau d’un des méchants les plus emblématiques de la décennie. À noter également l’apparition remarquée du catcheur Hulk Hogan dans une scène participant au côté plus « léger » de l’entreprise.
Deux « petits » nouveaux face auxquels les vétérans de la saga continuent d’évoluer. Que ce soit Talia Shire, pour le coup assez différentes qu’auparavant, Burt Young, toujours aussi jubilatoire en Paulie, Burgess Meredith, touchant et fragile, et Carl Weathers, génial en Apollo, ils contribuent à la solidité et à la cohérence d’un film percutant et divertissant.
Elle est d’ailleurs là la grande force de Rocky III : divertir sans renier ce qui constitue son ADN. Stallone veille au grain sous ses airs plus détachés, en pleine construction (physique et psychologique) du monstre de charisme musculeux qui atteindra sa pleine maturité quelques années plus tard. Encore une fois il est parfait. « L’œil du tigre mec ! L’œil du tigre ! »
@ Gilles Rolland
Crédits photos : UIP