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Le dernier sculpteur

Publié le 27 décembre 2015 par Pantalaskas @chapeau_noir

Eugène Dodeigne est décédé jeudi dernier près de Bondues dans le Nord  à l'âge de quatre vingt douze ans.

Sculpture monumentale à Hambourg Eugène Dodeigne

Sculpture monumentale à Hambourg Eugène Dodeigne

Avec lui disparaît un artiste représentant une activité en voie de disparition: sculpteur. Peut-on dire sans être désobligeant que, pour les jeunes générations, le nom de Dodeigne n'est pas immédiatement évocateur ? Dès l'âge de treize ans, il baigne pourtant dans l'univers de la sculpture auprès de son père tailleur de pierre.

«Sculpere »

Celui qui devint membre de l'Institut où sa présence, je crois, se faisait rare depuis déjà des années, se dirige très jeune sur la voie d'un art qui répondait à cette définition originelle : «Sculpere» qui signifie «Tailler» ou «Enlever des morceaux à une pierre ». En 1960, en effet, il s'engage dans la voie de la pierre éclatée au service d'une figuration âpre dont l'expression abrupte jaillissait de ce choc avec la matière. Aujourd'hui les préoccupations des artistes plasticiens, à mille lieues de celles de Dodeigne et plus généralement de cette pratique historique de la sculpture, relèguent une telle démarche dans les couloirs du temps.
Sans être oubliée, son œuvre se trouvait  depuis une quinzaine d'années quelque peu ignorée, marquée peut-être comme l'art d'une époque révolue. Ce n'est que tout récemment, en 2013, que le musée municipal de la tour abbatiale de Saint-Amand-les-Eaux lui a consacré pour la première fois une exposition muséale.  J'avais, pour ma part, croisé pour la première fois, au détour d'une allée au Parc floral de Paris à Vincennes, les silhouettes rugueuses de Dodeigne au début des années soixante dix. Déjà à l'époque d'autres noms occupaient le premier plan dans l'univers de la sculpture, notamment ceux d' Etienne-Martin et de François Stahly, tous deux de peu leurs aînés, tous deux membres comme lui de l' Académie des Beaux-arts. Il fallait, en effet, chercher sous la coupole de l'Institut pour vérifier la légitimité accordée à un artiste tel que Dodeigne, débordé par les pratiques contemporaines quand bien même l'artiste vivant continuait de travailler, produire, créer.

De la matière à l'idée

Les sculpteurs, eux-mêmes depuis déjà des années, délaissaient cette pratique de la sculpture pour défricher de nouvelles propositions : utilisations de matériaux nouveaux tels que béton, plastique, récupération de rebuts, ferrailles, déchets divers. Puis, avec les accumulations, les compressions, les expansions, les collages,  le travail de la matière se mettait au service d'un concept.

Dodeigne Hambourg

Famille (1982) Eugène Dodeigne

Comme d'autres sculpteurs de sa génération, Dodeigne pouvait cependant se convaincre de la pérennité d'une œuvre taillée dans le granit bleu de Soignies, dans la pierre beige de Massangis, dans le marbre de Carre ou même encore dans la lave achetée à Volvic dans les années soixante. Cette énergie du tailleur de pierre puisait sa force dans l'histoire d'une confrontation à la matière héritée de Rodin et abandonnant progressivement  une figuration allusive pour tendre vers l'abstraction. Si bien qu'avec le décès de ce sculpteur nonagénaire on ne peut s'empêcher de penser qu'au-delà de la mort d'un artiste, c'est peut-être le dernier sculpteur qui disparait, abandonnant cette fois définitivement le terrain de l'art aux créateurs pour lesquels ce travail sur la matière cède le pas au traitement de l'idée.
Toute cette génération de sculpteurs à laquelle Eugène Dodeigne à appartenu  paraît oubliée et ceux qui côtoient encore chaque jour dans les cours d'écoles, dans les établissements publics divers les œuvres de Robert Fachard, Dietrich-Mohr, José Subira-Puig, Ervin Patkaï, Marcel-Petit notamment, connaissent-ils  l’existence de ces artistes ? Il y a quelques jours disparaissait le sculpteur José Subira-Puig sans que cela ne fasse l'objet d'un écho significatif. Travailler le bois comme Subira-Puig, le métal comme Dietrich-Mohr, la pierre comme Fachard ou Marcel-Petit n'apparaît plus comme une pratique contemporaine.

Sculpture d'Eugène Dodeige à Helmond, Pays-Bas.

Sculpture à Helmond, Pays-Bas.

Signe des temps, la dernière exposition de Pierre Huygue au Centre Pompidou à Paris en 2013 opérait un singulier télescopage : une sculpture quelque peu délabrée ouvrait le parcours de l'artiste contemporain. L’œuvre, "Mère-Anatolica", une création de Parvine Curie, qui fut la compagne de François Stahly, a été récupérée sur un terrain vague du collège Pierre de Coubertin à Chevreuse. Tout est résumé dans ce raccourci : le temps du "Un pour cent", part consacrée à une œuvre d'art lors de la construction d'un bâtiment public, l'époque de la sculpture totem , brillante exception dans un décor sinistre, n'est plus concevable. Les pièces hiératiques comme furent celles d'un François Stahly ou de Parvine Curie, quelle que soit leur ambition de s'inscrire dans l'histoire, subissent l'usure du temps et l'affront de l'oubli. La mort d'Eugène Dodeigne, discrète et silencieuse, signe la disparition du dernier sculpteur.

Photos: Wikipédia


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