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Enquête de Poezibao : l’art, un recours ? / réponse de Frédérique Guétat-Liviani

Par Florence Trocmé

Poezibao a posé à plusieurs de ses correspondants la question suivante :
L’art est-il, pour vous personnellement, dans votre vie quotidienne, un recours en ces temps de violence et de trouble(s) et si oui en quoi, très concrètement, littérature, musique, arts plastiques ?
Réponse de Frédérique Guétat-Liviani :
Quand je suis bien luné, c’est à dire de bonne humeur, je taille, couds, forge, rabote, tape, martèle, cloue et assemble des phrases dont on comprend tout de suite le contenu. On peut, si on en a envie, m’appeler un tourneur écrivant. En écrivant, je tapisse.
Robert Walser
je lis difficilement   me concentre peu   dors mal
j’essaie d’éviter tout ce qui ressemble à un mot d’ordre   une déclaration solennelle
je poursuis cependant certaines activités
nourrir les animaux domestiques   éplucher les légumes   trier les choses inertes  
retirer la poussière   en cela renoue avec la lignée maternelle
j’ouvre les livres puis les referme   mets de côté ceux qui indiquent une direction   ordonnent un sens
les empilements d’ouvrages encombrent le sol près du lit
mais ainsi restent à portée de vue
j’écris des noms d’écrivains   d’artistes   de poètes   sur une feuille
finalement il reste Walser et Dickinson
je passe la nuit avec eux
leur écriture laisse venir la lumière   à chaque lecture un peu plus
ils n’éteignent pas derrière eux
je relis   la révolution s’accomplit
le monde infime reprend connaissance
et moi avec   en fréquentant leur langue
le mot Mouche   le mot Mort   le mot Miel   maintenant je les connais
comme Adam connaît Eve
je passe une autre nuit avec eux
rien ne pourra les déglinguer   ni l’isolement   ni l’humiliation   ni même la brutalité
la nuit n’est pas blanche   elle est transparente
je ramasse quelques bribes
chaque poème   chaque petite prose   tient dans un mouchoir de poche
pas d’encombrement permis
il faudra se défaire de tout ce qui peut encombrer la vie
je passe d’autres nuits avec eux
ils filtrent les entrées   je dors un peu
la vie reprend là où on l’a laissée
pour nettoyer par terre   je range les ouvrages qui traînent
je ne range pas leurs livres
je les garde près de moi
par scrupule
par superstition
on ne sait jamais
Ces Étrangères, en Monde inconnu,
Asile m’ont demandé –
Accueille-les, car Toi-même au Ciel
Pourrais être un Réfugié -
Emily Dickinson
Novembre-décembre 2015
Frédérique Guétat-Liviani
Marseille


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