Virginie Despentes, Vernon Subutex 2
Dans le volume 2 de Vernon
Subutex, Virginie Despentes balance très vite, en quelques pages
d’ouverture, un index des personnages apparus dans le tome 1. Les
renseignements succincts ne valent cependant pas la lecture du volet initial, où
Vernon Subutex se trouvait au centre d’un réseau social physique :
disquaire, il côtoyait de vraies personnes avec lesquelles il échangeait, par
l’intermédiaire de la musique, beaucoup plus que le goût de celle-ci.
Paradoxalement, le centre de cette nébuleuse dont toutes les
composantes ne se connaissent pas a disparu, en même temps que son métier
s’évaporait quelque part dans le nuage, la plupart des disques s’étant
dématérialisés. La dernière ligne du premier tome était un autoportrait
poétique mais qui s’achevait sur une note prosaïque : « je suis un clodo sur un banc perché sur une butte, à
Paris. »
Voici donc Vernon Subutex en SDF, coupé de son monde d’avant
et se créant de nouveaux points de repère, de nouvelles relations. Il ne se
lave pas et pue, il ne se ressemble plus. Il s’y fait, surpris lui-même d’avoir
basculé dans des jours sans aucun des besoins qui lui semblaient auparavant
aller de soi. Vernon est zen.
Il ignore donc le brouhaha qui entoure sa disparition. Car
il faut parler de disparition bien qu’il soit toujours à Paris : il n’y a
pas de point de contact entre ce qu’il vit et ce qu’il a vécu, celles et ceux
qui appartiennent à son passé sont donc longtemps incapables de le retrouver,
bien qu’ils en aient envie. Ils éprouvent un peu de culpabilité. Comment
l’ont-ils si facilement, dans une unanimité non concertée, laissé tomber ?
Certains sont cependant motivés par l’intérêt que suscite la confession
enregistrée par Alexandre Bleach, des bandes supposées de grande valeur,
dangereuses peut-être pour un producteur, et dont Vernon Subutex était le
dépositaire.
Virginie Despentes installe une sorte d’intrigue dans son
gros roman – qui se terminera par un troisième tome. Elle est cependant assez
lâche et ne sert qu’à faire tenir ensemble les pans les plus intéressants de
son entreprise : la confrontation entre des personnes qui ne devraient
rien avoir à faire ensemble mais que rapproche, pour des raisons multiples, le
désir de savoir ce qu’Alexandre Bleach a bien pu raconter dans
l’enregistrement.
L’écrivaine réussit en tout cas à articuler plusieurs
logiques autour de l’évanescent pivot qu’est son personnage principal. Mieux
que dans le premier tome où elle semblait prendre plaisir à aligner trop
systématiquement les points de vue des différents protagonistes, elle les mêle
cette fois-ci dans une société dont les structures se sont défaites sans avoir
été remplacées par d’autres.
Devenir SDF est un drame humain qui peut, Vernon Subutex en
est l’exemple, devenir une mise à distance salutaire de bien des contraintes.
Mais tout le monde n’est pas capable de la souplesse intellectuelle nécessaire
à le comprendre. Et c’est une sorte de panique qui secoue le réseau social physique
dont nous parlions au début. Comme un système solaire que le soleil aurait
cessé d’éclairer et de chauffer, et dont les planètes seraient amenées à nouer
entre elles des relations inédites. Pour le meilleur ou pour le pire,
d’ailleurs.
Vernon Subutex 2 est un roman assez secoué, et qui secoue. Passé à la moulinette de la
fiction, avec une ironie toujours renouvelée, le réel prend des couleurs
étranges. Celles, peut-être, que nous refusons de voir de peur d’en être
blessés. Virginie Despentes n’a aucune crainte de blesser ni d’être blessée.
Attention les yeux !
Eric-Emmanuel Schmitt, Le sumo qui ne pouvait pas grossir
Jun a
quinze ans, pas de famille, pas d’ami. Sur le trottoir de Tokyo où il est
vendeur à la sauvette, un homme l’a pourtant remarqué, qui l’imagine plus épais
et futur lutteur de sumo. Jun n’est pas intéressé, d’ailleurs il est mince et
semble devoir le rester. Un peu malgré lui, il est placé sur un chemin qui lui
permettra de s’accepter. Un sujet à la Paulo Coelho qui fait craindre le pire,
mais traité avec assez de finesse pour qu’on ne rejette pas la proposition de
ce court roman.
