L’Afrique du Sud, avec son histoire complexe et sa culture protéiforme, est encore loin de l’idéal de Madiba. Clivages raciaux, discrimination, ghettos dorés, violences conjugales banalisées, la route est encore longue. Mais en second plan, au beau milieu d’une partie de la ville fortement déconseillée par notre ambassade car prétendument trop dangereuse, de bien belles choses se passent et c’est évidemment la musique qui va jouer le rôle principal. C’est l’autre visage de Soweto.
Soweto (pour South Western Township) est née du clivage racial, un ghetto noir à l’origine qui dans les années 60 a été le théâtre des pires exactions de l’apartheid, des violences policières, tortures, meurtres, de la misère et de l’injustice qui enfantent mécaniquement la violence. Pour apaiser l’espace d’un soir cette atmosphère électrique, les musiciens des townships se retrouvaient à l’abri des regards policiers dans les arrières cours des maisons de fortune. Défiant l’interdiction de se rassembler, c’était pourtant dans une ambiance de fête de joie et de partage, une résistance positive qui a forgé le caractère de ces quartiers.
50 ans plus tard, la démocratie s’installe mais les ghettos demeurent, le gouvernement a fait construire d’immenses résidences en périphérie des quartiers que personne ne peut s’offrir et qui restent donc désespérément vides. À Orlando West, partie de l’immense quartier de Soweto, l’esprit des block-parties s’est réveillé à l’initiative de quelques musiciens motivés: c’est His and Hers Jams. Ce collectif organise un dimanche par mois une soirée au beau milieu d’Orlando West, dans les hauteurs de Soweto. À l’arrière d’une maison comme les autres, nous avons assisté à la dernière de ces soirées underground de l’année 2015 pour notre plus grand plaisir. Au programme: DJ set l’après-midi entre jazz, groove et house bourrée de références old school pour laisser la place en milieu de soirée à des sets live de groupes au groove très influencé par les musiques traditionnelles zulu mais aussi l’afrobeat et plus globalement le jazz-rock pour faire vibrer le quartier jusqu’au petit matin…
Pour nous mettre dans le bain, une vidéo d’une des têtes d’affiche de cette dernière soirée, The Muffinz :
Au départ, une poignée de musiciens qui partagent le constat qu’il faut que les choses bougent autre part qu’en centre ville, qu’il faut redorer le blason de Soweto en y installant un lieu de partage artistique. Nous avons rencontré Tshidiso, l’un des fondateurs du collectif, pour qu’il nous en dise un peu plus:
Est-ce que tu peux nous expliquer le concept et l’histoire de His & Hers Jams ?
En fait, à la base, nous étions un groupe d’amis et de musiciens. Et puis on s’est dit qu’il nous manquait un endroit où on pouvait juste se poser, boire des coups et partager la musique qu’on aime. Donc au départ on a dit aux groupes « Ok les gars, on n’a pas de fric, on n’a pas de scène ni de lumière, on n’a pas de matos son, mais on a envie de faire quelque chose« . La première soirée, nous étions à peine 40, c’était assez confidentiel et nous n’avions pas trop communiqué dessus, c’était plus une fête de quartier. Mais petit à petit, on a fini par avoir les fonds nécessaires au développement du côté logistique. Une des dimensions du projet est aussi le partage de compétence, Lee est ingé son, d’autres sont plus calés en organisation, on est tous des amoureux d’art mais on partage aussi nos savoirs-faire. Et puis, on a bien pris soin d’intégrer les habitants du voisinage au projet, on voulait vraiment un projet pour et par les habitants d’Orlando West (quartier de Soweto)
Justement, comment les gens ont réagi au projet au départ ? C’est en plein milieu du quartier, un dimanche par mois avec un gros sound system, pas évident non ?
En fait au départ certains étaient un peu réticents, mais c’est comme pour tout, les gens ont peur de ce qu’ils ne connaissent pas. Puis après deux-trois sessions, les gens ont tout de suite compris l’esprit et ont adhéré au concept. Je me suis même fait engueuler par cet homme d’une soixantaine d’années qui est venu me voir et m’a dit « hey, c’est vous qui avez passé du jazz hier ? Pourquoi j’étais pas invité ? » (rires)
Et finalement, les gens sont contents de montrer un autre visage de Soweto, de voir qu’on propose des choses de qualité et qui incluent les habitants.
– Thuli et ses sons très jazz groove, tout en décontraction et en classe –Tu parles de montrer un autre visage, est-ce que les gens qui viennent à vos soirées ont changé ? Est-ce qu’ils viennent plus du centre ville ou des quartiers riches par exemple ?
La population a toujours été très éclectique, mais petit à petit on a effectivement vu des gens des quartiers riches venir de plus en plus loin. C’est marrant parce que les gens de Soweto sont contents qu’on fasse ces soirées parce qu’ils peuvent profiter et écouter de la bonne musique sans trop claquer d’argent et d’essence, mais finalement maintenant ce sont les autres qui claquent de l’essence pour venir à Soweto! (rires) On commence même à voir des gens de Pretoria venir (NDLR: Soit plus de 80km !). C’est vraiment bien parce que les gens qui viennent des autres quartiers peuvent repartir chez eux et dire à leurs amis « OK, Soweto c’est pas si mal » tu vois ? Le problème c’est qu’ils n’entendent parler de ce quartier que dans les médias et que lorsque quelque chose va mal, le bouche à oreille est donc un moyen efficace de casser cette image de no-go zone. (coucou BFM !)
– Ouverture des festivités live avec The Brother Moves On et leur set survitaminé –
Fort de ce succès, vous avez pensé à exporter ce projet dans d’autres townships ou carrément d’autres villes ?
Oui, complètement, ce serait l’idée. Notre problème principal aujourd’hui c’est la logistique. Le coût de location du matos, les musiciens, les DJ, le loyer font qu’on entre tout juste dans nos frais. On prévoit d’investir dans une bonne grosse sono l’année prochaine, comme ça ce sera plus simple et on pourra plus facilement faire des soirées où on veut. Il y avait une vraie demande ici, on l’a bien senti et je pense que Soweto n’est pas une exception.
D’ailleurs qu’est-ce que vous avez prévu pour 2016, des résolutions en particulier ?
Oh mec, 2016 va être une bonne année. Pour les prochaines soirées on a réussi à faire venir des belles pointures pour les DJs et côté live on va monter des plateaux pour pouvoir faire jouer 6 à 8 groupes, à côté de ça on va aussi monter des ateliers pour les ados du quartier, des ateliers artistiques avec toute sorte de disciplines : musique, mix, peinture… Ça va être vraiment cool !
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Charly
Chroniqueur du Limo, musicien et boulimique de vinyle, j'aime toutes les musiques qui me secouent les tripes.J'aime aussi monter les blancs en neige pour la tarte au citron, mais c'est un autre sujet.
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