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[Critique] LES HUIT SALOPARDS

Par Onrembobine @OnRembobinefr
[Critique] LES HUIT SALOPARDS

Titre original : The Hateful Eight

Note:

★
★
★
★
★

Origine : États-Unis
Réalisateur : Quentin Tarantino
Distribution : Samuel L. Jackson, Kurt Russell, Jennifer Jason Leigh, Walton Goggins, Tim Roth, Bruce Dern, Michael Madsen, Demian Bichir, Channing Tatum, Zoe Bell…
Genre : Western
Date de sortie : 6 janvier 2016

Le Pitch :
Quelque part au beau milieu de l’état du Wyoming, alors que la Guerre de Sécession ne s’est achevée que quelques années plus tôt, John Ruth, un chasseur de primes, convoie Daisy Domergue, sa prisonnière, à travers le blizzard. En chemin, ils rencontrent le Major Marquis Warren, un autre chasseur de primes, et Chris Mannix, le nouveau shérif de Red Rock, qui les rejoignent dans la diligence. Forcés de faire étape dans une auberge pour s’abriter du blizzard, ils font alors la connaissance de quatre hommes, eux aussi contraints d’attendre que le temps se calme. Très vite les choses se compliquent. Un, voire plusieurs de ces personnages n’étant pas ce qu’il prétend être…

La Critique :
La genèse des Huit Salopards fut un poil laborieuse. On le sait, le scénario a fuité, mettant ainsi le projet en péril, avant que Quentin Tarantino ne pense à le transformer en pièce de théâtre. Finalement, il réalisa le film. À l’ancienne, au format 70 mm, cadrant ainsi avec une démarche encore une fois « vintage » et respectueuse du style et des thématiques abordés. Même Ennio Morricone est de la partie, lui qui a accepté de composer des partitions inédites, après avoir par le passé vivement critiqué le réalisateur pour avoir utilisé des morceaux un peu « n’importe comment » (c’est Morricone qui le dit) dans des films comme Django Unchained et Kill Bill. Un travail par ailleurs formidable en tous points, épique et crépusculaire à souhait, qui démontre entre autres choses que le maestro sans lequel les chef-d’œuvres de Sergio Leone ne seraient pas tout à fait les mêmes, n’a rien perdu de sa fantastique verve à presque 90 ans. Premier bon point pour les Huit Salopards. Le premier d’une très longue série.

On reproche souvent les mêmes choses au géniteur de Pulp Fiction : ses longs-métrages ne sont que de longues compilations de scènes piquées à d’autres. Tarantino étant un cinéphile plutôt hardcore, toujours enclin à saluer le travail de ses aînés via de belles et parfois évidentes références, il est en effet simple de ne résumer son boulot qu’à un habile collage. Cela dit, un tel constat est réducteur. On ne va pas refaire le procès qui se joue encore et encore chaque fois qu’il sort un nouveau film, mais Tarantino n’est pas un pilleur. Et ce pour la simple et bonne raison, qu’il ne s’en cache pas. Tous ses hommages sont avoués. C’était le cas avec Reservoir Dogs et c’est toujours le cas avec Les Huit Salopards. Avoués les hommages donc, mais aussi sacrément bien digérés. Les choses qu’il prend à droite et à gauche, l’ancien employé de vidéo-club les intègre dans des histoires complexes et les justifie en permanence, sans forcément se reposer sur les mêmes ressorts que ceux qui les ont créées. Et puis quoi qu’il en soit, ce serait faire preuve de mauvaise fois que de résumer son talent à cela, tant sa capacité à faire preuve d’audace et d’inventivité est indéniable.
Tout cela pour dire pour Les Huit Salopards est un trésor de mise en scène. La précision est hallucinante, tout comme le timing. N’oublions pas que nous sommes face à un film dont l’action se déroule presque exclusivement dans une seule et même pièce. Les Huit Salopards et un pur huis-clos, sur bien des aspects très théâtral et pourtant, jamais la réalisation n’apparaît étriquée. Tous les mouvements de la caméra sont finement étudiés, faisant des joutes verbales autant d’affrontements passionnants et tendus et de chaque échange de coups de feu, d’authentiques uppercuts aussi surprenants qu’estomaquant. Dès le début, quand la diligence progresse dans un paysage enneigé de toute beauté, la capacité de Tarantino à utiliser le décors pour exercer une pression sur les personnages et, in fine, sur le spectateur, saute aux yeux. Et quand il décide d’enfermer ses salopards dans cette auberge perdue dans la montage, ce n’est surtout pas pour se reposer sur quelque chose de confortable, bien au contraire. Grâce à un véritable travail d’orfèvre, notamment sur le son, le froid charrié par le vent, dont le murmure agressif ne cesse de se faire entendre, traverse l’écran pour souligner l’ambiance dans laquelle sont plongés Kurt Russell et ses compagnons d’infortune.

Les-Huit-Salopards-Kurt-Russell-Jennifer-Jason-Leigh-Bruce-Dern

En gros, l’immersion est totale. Tarantino nous prend par la main, sans se presser et nous plonge en plein cœur d’un cauchemar, qui si il évoque bel et bien tout un pan du western américain et italien, fait aussi de plus en plus référence, au fil des minutes, au cinéma d’horreur, The Thing, de John Carpenter en tête (impression renforcée par la présence de Kurt Russell au générique). Difficile également de ne pas voir ici une relecture burinée et ambitieuse de Reservoir Dogs, lui même inspiré des Dix Petits Nègres, de cette chère Agatha Christie. Chez Tarantino, l’Amérique d’après la Guerre de Sécession ressemble à l’anti-chambre de l’enfer. Le message politique est limpide et pour le coup, fait vraiment mal. Surtout si on considère quelles places occupent dans cette équation perfide les personnages de Jennifer Jason Leigh et de Samuel L. Jackson. Pour sa huitième livraison, l’enfant terrible du cinéma yankee n’a pas mis le silencieux et livre un pamphlet enragé qui ne se prive pas de jeter un regard acerbe sur son époque et sur son pays.
Mais Tarantino étant Tarantino, les partis-pris, aussi affirmés soient-ils, ne suffisent pas à étiqueter fidèlement l’ensemble. Oui, Les Huit Salopards est une charge politique virulente, mais non ce n’est pas uniquement cela. C’est aussi un western, un thriller et une comédie. On vibre, on se marre et on est choqué. Les dialogues sont nombreux, car autant le savoir, il s’agit certainement du film le plus bavard du réalisateur (veuillez noter que le mot bavard n’a ici, aucune connotation péjorative). Les personnages parlent beaucoup et après ils font parler la poudre, comme le soulignait récemment Samuel L. Jackson en interview (pour le magazine Première). Ils causent et c’est passionnant. Encore une fois, c’est drôle, parfois choquant, mais aussi tout le temps fascinant. Les mots, chez Tarantino prennent toujours des formes inattendues. Là est son véritable point fort : sa capacité à écrire des dialogues ciselés, percutants et jubilatoires. Faire en quelque sorte de l’action « littéraire », avant de mettre les formes, visuellement parlant. Instaurer le climat, poser les bases, bâtir l’intrigue, tout en enchaînant les punchlines, pour composer au final une musique dans la musique, où les mots sont des notes qui sonnent comme chez personne. Le talent de dialoguiste de Tarantino est tel, qu’il donne parfois l’impression de pouvoir parler de tout et de rien, sans se départir d’une verve conférant aux propos une attitude unique… Cela dit, dans le cas présent, il raconte beaucoup de choses et rien n’est vain. Pas même quand il en donne l’impression. Un peu comme cet échange à propos des pourboires au début de Reservoir Dogs… On y revient.

Forcément, quand on sait à ce point où on va et qu’on tient absolument à ne faire aucune concession sur le fond ou la forme, les acteurs sont cruciaux. Les Huit Salopards étant à la fois son film le plus sérieux, le plus sombre et peut-être le plus frondeur, Tarantino s’est majoritairement entouré de fidèles, comme Samuel L. Jackson, Tim Roth et Michael Madsen. Kurt Russell, qui était déjà dans Boulevard de la Mort pouvant lui aussi être considéré comme tel. Les autres, à savoir Jennifer Jason Leigh ou Channing Tatum se coulant parfaitement, avec un naturel confondant dans le moule spécialement créé pour eux. Ensemble, ils confèrent au long-métrage une sacrée gueule. Chacun de ces acteurs pourrait en effet avoir sa tête dans le dico en face du mot charisme et chacun à sa façon incarne une facette du cinéma de leur chef de troupe. Le spectateur pendant ce temps, trouve vite ses marques, surtout si il est familier de la démarche de Tarantino, ce qui facilite grandement l’entrée dans le bain. Les autres pourront trouver dans un premier temps l’eau un peu froide, mais devraient s’y faire. Ou pas, c’est selon, car jamais la température n’est tiède. C’est chaud, comme le canon des flingues de Samuel L. Jackson, flippant et mordant à souhait, ou brûlant, comme le front de Walton Goggins, impérial et surprenant. Jennifer Jason Leigh de son côté est parfaite, tout comme Kurt Russell, employé d’une façon que peu de réalisateurs ont exploité jusqu’alors, impérial, cocasse et même parfois touchant. Même sentence sans appel pour l’immense Bruce Dern, à l’aise dans le western comme un poisson dans l’eau, Michael Madsen, que l’on est heureux de revoir dans un film à sa mesure, le facétieux Demian Bichir ou encore le malicieux Tim Roth, dont la performance s’inscrit dans la lignée de celles de Reservoir Dogs et de Pulp Fiction, sans pour autant les singer bêtement. Concernant Channing Tatum, on vous laisse la surprise…

À première vue, avec sa structure ¾, ¼, Les Huits Salopards pourrait donner l’impression de lâcher les chiens dans le sprint final, d’une sauvagerie sans équivoque. En réalité, il s’avère brutal dès le début. Tarantino offre de nombreuses respirations à son récit, pendant lesquelles on rit de bon cœur, mais globalement, l’ambiance n’est pas à la blague. Les mots frappent dur et marquent au fer rouge, avant que les colts ne chantent le même air à l’unisson. Et c’est d’ailleurs par cet aspect très tranchant, avec ses effets extrêmement gores, que le long-métrage se rapproche d’un cinéma de genre hardcore, sans se défaire de ses apparats western. Il verse dans le grand-guignol et un peu dans la gaudriole, mais son propos possède des fondements on ne peut plus sérieux et solides et le spectacle est glaçant. L’expérience est totale. Les Huit Salopards fait partie de ces films qui ne laissent pas indifférents. Sublime, noir, superbement joué, réalisé et écrit, il sait aussi ménager ses effets. Tout s’imbrique à la perfection. Rien n’est laissé au hasard.
Quentin Tarantino, de projet en projet, ne trahit pas le jeune gars un peu surexcité qui un jour, a emballé cette histoire de braquage ayant mal tourné, où un gars coupe une oreille à un autre. C’est toujours le type qui a planté une aiguille dans la poitrine d’Uma Thurman. Mais depuis quelques années, ses films tendent aussi un miroir à leur époque. Sans le souligner, Tarantino a fait de son cinéma le reflet de ses craintes concernant le monde. Mais, et c’est important, sans le démunir de son côté profondément spectaculaire et divertissant, qui lui donne tout son sel et confère à son discours cette efficacité si caractéristique.
Peu sont les cinéastes capables d’emballer encore aujourd’hui de bons westerns. Après Django Unchained, Tarantino a récidivé, et sans se répéter, a offert au genre un nouveau glorieux chapitre. Même si les Huit Salopards est, vous l’aurez compris, tellement plus que cela…

@ Gilles Rolland

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 Crédits photos : SND


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