LA VIE TRÈS PRIVÉE DE MONSIEUR SIM, Michel Leclerc (2015)
Trois problèmes ont éclos lors de ma réflexion – intense – sur le nouveau film de Michel Leclerc. Premièrement, je n’ai pas lu le livre de Jonathan Coe ; résultat, nul parallèle entre l’image et les mots ne pouvait donc être établi. Deuxièmement, ma passion secrète et enflammée pour Jean-Pierre Bacri a depuis longtemps développé en moi un manque d’objectivité certain concernant son talent, car quoi que fasse Bacri je le trouverai éternellement et formidablement inspiré. Troisièmement, mon absence cruelle d’obséquiosité m’oblige à dire du mal de ce long métrage certes pas désagréable à regarder mais qui manque foncièrement d’âme, de profondeur, de dynamisme, de souffle, et surtout qui abandonne mon Jean-Pierre dans une position très inconfortable d’acteur peu ou mal dirigé ne semblant pas très bien savoir lui-même ce qu’il fait ici, la tête coincée dans une caméra visiblement trop étroite pour lui… (Pardon Jean-Pierre).
François Sim, personnage singulier, sympathique et lunaire se révèle surtout comme un homme d’un ennui mortel. Car François Sim parle le plus souvent pour ne rien dire, comble et remplit son existence de paroles creuses et insipides, plaçant ses interlocuteurs dans une position souvent bien mal aisée ; François Sim ou l’incarnation de ces êtres maladroits, empotés, empaillés mais tellement attachants. Seulement voilà, « attachant » – selon l’expression consacrée – ça n’est pas un métier et, après une séparation, un licenciement et ceinturé d’une joyeuse dépression, le voilà de nouveau le pied à l’étrier, (presque) vaillant et (presque) prêt à partir au devant d’un nouveau travail qui le conduira sur les routes de France afin de vendre des brosses à dents en poils de sanglier… François Sim, au travers de cet emploi, s’embarquera sur les chemins de la vie, du passé, de l’avenir et tracera les sillons d’un « road trip » – bien franchouillard – qui fera de lui un autre homme (quoi que)…
Si Le Nom des gens avait été une bonne surprise, La Vie très privée de Monsieur Sim lui, a formé au-dessus de mon cervelet droit un gros nuage gris et vitupérant. Car ce film se fait caméléon et se fond un peu trop dans la peau de son personnage principal, s’abandonnant à son image: ennuyeux, pantouflard et linéaire. L’on prend du Bacri pour faire du Bacri, mais du Bacri plus sensible, plus « aimable », du Bacri plus accessible, plus émouvant mais surtout plus traînant et moins jubilatoire, s’oubliant malheureusement dans un rôle comico-dramatique qui ne lui sied guère, du Bacri sous-employé et sabordé qui en vieillissant se met à dégager des mimiques à la Louis De Funès assez étonnantes et déstabilisantes ; bref, du Bacri tout bonnement perdu et essoufflé, qui peine à donner une présence magnétique et influente à son personnage.
Malgré un casting alléchant et prometteur (solaire Vimala Pons et séduisant Mathieu Amalric), La Vie très privée de Monsieur Sim se retrouve rapidement la pellicule entre deux bobines : ni vraiment pétulant et récréatif pour installer une réelle ambiance comique, ni franchement profond et réfléchi pour créer une véritable tension dramatique. Une œuvre qui se cherche, qui tâtonne et se donne des « airs de » mais ne parvient pas à dépasser le stade du petit film français égaré et bancal, ni intello ni populo, simplement lesté d’un manque d’engagement et de caractère qui le ralentit et confère à la réalisation une absence totale d’originalité. Michel Leclerc ne parvient pas à accrocher le spectateur et à créer une magie autour de son long métrage ni une aura autour de son personnage principal, laissant son spectateur bâillant et peu concerné par un Monsieur Sim certes touchant mais qui ne laissera pas un souvenir impérissable dans les annales du Septième art. Là est par ailleurs le problème, la présence prégnante bien qu’en filigrane du père de François Sim, qui lui vole avec maestria et sans le vouloir la vedette, et sauve – fort heureusement – ce long métrage quelque peu barbant…