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Mes parents-thèses

Publié le 11 janvier 2016 par Le Journal De Personne
Maman vit selon ses désirs.
Papa vit selon ses principes.
Sans être Électre, ni Œdipe, je me suis toujours posée la question de savoir lequel des deux a le plus de chances de s'y retrouver ou comme on dit de réussir sa vie.
Ma mère qui exprime un règne animal, ou mon père qui imprime un ordre moral ?

Comme j'étais une enfant révoltée, les deux m'insupportaient... énormément.
Je prenais l'une pour une putain et l'autre pour un pantin.
La putain qui ne vit que selon ses envies et le pantin dont l'avis est dépourvu de vie et dicté quoi qu'il en dise par d'autres que lui.

Ce fut l'horizon de ma petite rébellion, la raison de ma déraison, le lit de ma folie.
Je ne voulais ressembler ni à la nature de l'une, ni à la surnature de l'autre...
Ni maman, ni papa, mais un être au-delà de ces deux monstres apparents.
Maman qui dit : fais ce qui te plaît, il n'y a pas de mais...
Et papa qui dit : fais ce que tu dois, parce qu'il n'y a pas que toi...
Équilibre instable, position intenable pour la fille que j'étais entre l'orgueil paternel et la fierté maternelle.
Entre les deux, il n'y a pas de compromis possible. C'est soit l'un, soit l'autre disait mon père avec son orgueil démesuré et son sens absolu du devoir... toujours bien accompli.
Mais l'absolu ne te servira pas à grandir disait ma mère, mais seulement à brandir ton idéal et à occulter ce qui en toi, est viscéral...
Souviens-toi, me répéta-t- elle inlassablement : l'idéal du moi n'est pas moi, ni de moi... c'est un emprunt avec un sacré taux d'intérêt... tu ne le rembourseras jamais... ne cherche pas midi quand il fait nuit, sois fière d'être celle que tu es sans soustractions et sans additions.

Et malgré sa fierté, ce n'est pas ma mère qui avait la plus haute idée d'elle, c'est mon père, et de loin qui avait de lui la perception la plus flatteuse, lui qui comme Corneille ne concevait pas l'homme tel qu'il est, mais tel qu'il doit être...
Périsse le monde, il ne cèdera pas et s'il meurt, il se consolera en se disant qu'il n'a pas cédé, ni à la tentation, ni à la pression. Il y a résisté. C'est un résistant.
Mon œil dit maman, ce n'est que de l'orgueil. Et pour elle, c'est une maigre consolation parce que la résolution qui dit non à nos pulsions, à nos impulsions, dit aussi non au vivant, à l'existant, à l'instant.
Ma mère c'est Racine qui aime voir l'homme comme il est, avec ses équations insolubles.
Pour elle, le pire des revers c'est de trahir son caractère... dans tout homme moral, il y a sans doute un pervers, disait-elle quand elle s'en prenait à mon père.

Je ne vous dirais pas lequel des deux j'ai sacrifié sur l'autel de ma destinée : la putain ou le pantin... peut-être parce que je suis plus maline que les deux...
Ni être, ni devoir être... mais pouvoir être... au-delà des deux.
Ni Racine, ni Corneille mais la reine des abeilles... qui a étranglé en elle les deux avec son miel et pendant son sommeil.

Et pour tous ceux qui me lisent au deuxième degré : la putain, c'est le peuple et le pantin, c'est la nation.


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