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Mediterranea

Par Adélaïde
Mediterranea

Mediterranea de Jonas Carpignano


Que dit Mediterranea?

Il ne dit pas grand chose. Il montre et présente le cheminement de deux Burkinabés débarquant en Italie dans l’espoir d’une vie meilleure aperçue au prisme de ce qu’ils en voient sur les réseaux sociaux ;  il plonge le spectateur dans leur nouveau quotidien calabrais, en construction, précaire, dans le délabrement d’un campement pourri et dans une plantation d’oranges où ils travaillent dans des conditions délétères, dans l’espoir d’obtenir des papiers et de faire venir leur famille.

Dans l’ensemble le film sonne plutôt juste, il dit les rapports d’une rive à l’autre de cette Méditerrannée sans imposer vraiment de discours. Il présente deux mondes qui se rencontrent mais ne sont pas radicalement étrangers l’un à l’autre. Skype, Facebook, ce lecteur mp3 qu’Ayiva envoie à sa petite fille, les panneaux solaires installés dans son village, … ces technologies mondialisées infusent le film nous épargnant le cliché d’un continent africain qui serait intégralement déconnecté. Une idole noire, Rihanna, fait symboliquement pont, d’une rive à l’autre de Mediterranea.

Le film dit les contours de l’Europe flous.

Dans ce train italien dans lequel monte Ayiva un moment,  il tourne la tête vers le fond du couloir - encore un horizon raccourci et diffus comme le film en présente quelques uns-, un passager surgit, les contours sont flous, seul son visage reste net. Dans le film, l’Europe semble floue, l’environnement des migrants est souvent nébuleux et eux se détachent, très distinctement. Le film leur donne corps dans ce nouveau monde au dessin incertain dans lequel ils débarquent.

La réalisation est belle mais elle perd un peu en teneur dans la répétition d’un mécanisme étiré tout le long du film : ce flou parsemé, jusqu’à la fin, quand dans ces halos de lumière de fête Ayiva s’engouffre, sans horizon dessiné (mais le spectateur devine, il reste, sans doute.)

Ces migrants ont un visage. Pendant leur traversée la caméra s’arrête sur eux. Les films d’exil présentent parfois des corps découpés, des corps désarticulés, un bras, une main, filmés en très gros plan, jamais un tout. Comme des identités morcelées, arrachées, les personnages de migrants sont donnés alors à voir comme êtres désunifiés, morceaux d’un tout qui serait indéfini ; un mouvement de populations, une foule.

Dans Méditerranea le spectateur voit des hommes, scrute des visages, cerne un caractère, des manières d’être, de penser, d’Ayiva et d’Abas, plonge dans les yeux d’Abas, ce regard déterminé à ne pas l’être par sa condition de fuyant. Abas incarne un refus, ses silences disent son insoumission. “Regarde autour de toi”, dit-il simplement à Ayiva un soir, ce personnage quasi mutique. En face de lui Aviya essaie, accepte, il tâche de “faire les choses à sa manière”, il tâche de se plier aux conditions, dans l’espoir de pouvoir rester, et vivre une vie meilleure. Deux postures donc, face à l’accueil parfois lui-même ambivalent des Italiens qu’ils côtoient : Rocco, l’employeur d’Ayiva qui les fait trimer dans des conditions extrêmement pénibles mais voit aussi en Ayiva surgir l’histoire de son grand père émigré à New-York, cette “Mama Africa” peut-être autoproclamée, généreuse, mais qui traite bien, quand même, ces hommes comme des enfants.

Alors dans tout ça, le réalisateur ne tranche pas trop radicalement ; le film n’est pas militant. Une des ses qualités est de ne pas tomber dans un manichéisme crasse qui fait tout autant de mal à l’un et l’autre de ce qui serait alors deux “camps” : la vieille Europe vaste, mais inhospitalière et raciste, le migrant angélique, travailleur forcené, asservi, malmené. Un soir Ayiva dîne à la table familiale de Rocco après une journée de travail. Ce soir là, quand même, pas question de parler de sa situation, pas question de s’attarder sur l’actualité tragique et déprimante, et la femme de le rappeler : “on ne parle que des choses optimistes à ma table”. Ayiva est présent autour de cette table, à la fois considéré au delà de sa condition d’immigré, mais nié, aussi, par ce refus de s’attarder à connaître ses conditions d’existence. Une parenthèse et une négation donc. Et cette ambivalence donne encore à penser.

Mais s’il évite un misérabilisme pénible, quelques images sont assez lourdes. Le vieil italien penché à sa fenêtre alors qu’Ayiva  téléphone à sa soeur au Burkina, pour se plaindre du bruit dans sa cour, parce qu’il “y a des gens qui vivent ici”, attendu, et facile. Cette petite fille d’Italie qui déverse délibérément et effrontément ce cageot d’oranges aux pieds d’Ayiva à la fin d’une journée de labeur à les ramasser. Ce sourire presque amusé de ce dernier face à l’insulte, enfantine, donc d’une insolence suprême. C’est facile, et presque invraisemblable. Un peu trop facile de signifier une cruauté européenne dans l’insouciance mesquine d’une enfant inhospitalière et joueuse. Peut être tout simplement joueuse, qui sait ? Comme Aviya écrabouillant à coups de pieds la vermine qui se faufile sous son matelas, au retour d’avoir essuyé le refus de celui qui l’emploie de l’aider à obtenir un permis de séjour.

Dans l’ensemble ce film est plutôt beau, pas simpliste, et documentaire, il comporte aussi des longueurs, et des lourdeurs. Il ne dit pas grand chose et c’est à la fois sa qualité et l’un de ces défauts. Il propose des visions et des postures parfois ambiguës, d’une ambiguïté sans doute toute humaine et là se trouve une des ses forces, quand même.


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