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(Enquête) de Poezibao : l’art, un recours ? / réponse de Dominique Dou

Par Florence Trocmé


Poezibao a posé à plusieurs de ses correspondants la question suivante :
L’art est-il, pour vous personnellement, dans votre vie quotidienne, un recours en ces temps de violence et de trouble(s) et si oui en quoi, très concrètement, littérature, musique, arts plastiques ?
Réponse de Dominique Dou

C’est comme si … par hasard.
C’est drôle cette histoire d’enquête…à laquelle, croyant être conviée à répondre – mais non – Florence, vous m’invitez finalement à… répondre. Tout ça, c’est la faute à l’ordinateur à quoi j’ai accès, pendant ces quelques journées de repos, depuis le 26 décembre, régulièrement ; alors que le reste du temps non, pas souvent. Depuis quelques jours donc, j’y vais, à l’ordinateur, comme l’on va au confessionnal sans doute, à reculons. Mais chaque jour. Et cette rafale de question – réponses que je lis, m’épate.
Tant mieux que vous ne m’ayez pas posé la question. Vous avez bien fait. Il ne faut pas me poser de question. Il n’y a pas de réponse. Pas en ce moment. Je n’ai rien à dire.
C’est comme si l’on me demandait mes « papiers » dans le train. C’est comme ça maintenant. Je ne peux plus prendre le train : je n’ai pas de papiers. Je n’ai plus de papiers depuis des années ; plus de carte d’identité depuis des lustres ; plus de passeport depuis cinq ans. Jusqu’à maintenant, on ne m’a rien demandé, même pour aller en Italie, même pour circuler en voiture. J’attends de voir « jusqu’où je peux aller » sans papiers. Mais à bicyclette dans la ville où je vis, aujourd’hui, je sais que je prends le risque de la petite vraie fausse question des papiers « d’identité ».
Je ne saurais pas répondre à ça.
Un vrai problème de « vie quotidienne ». Ce n’est pas un « problème d’art ». Quoique. J’aurais beau montrer ma carte de visite, ma carte d’accès à la bibliothèque – si vitale en ces temps de misère artistique - ma carte bleue, ma carte des amis de la Quinzaine ou celle de la SS – si Vitale en ces temps de misère sociale – rien n’y fera, Florence, vous viendrez l’attestez pendant ma garde à vue, vous avocate de la poésie, que je suis bien écrivain, rien n’y fera. Ça ne suffira pas.
Mais alors qu’est-ce qui suffira à dire mon identité ? Ce n’est pas un « problème d’art » ça ?
De cercle en cercle, on enquêtera, on saura qui je fréquente, où je vais, où je vis, qui je lis, qui je regarde, où je regarde, ce que j’entends, qui j’aime, ce que j’aime – en se rapprochant saura-t-on qui je méprise ? Suis-je autant pistée que d’autres ? Comment le savoir ? Mais jusqu’à maintenant, tout va bien. On ne me demande pas encore de fournir de preuve.
Je suis encore libre de ça, la preuve. Pas d’autres, ça va sans dire. Encore libre de penser qu’en ces temps de douleur morale, la conviction est un bien plus grand ennemi de la vérité que le mensonge et que faire la guerre à la guerre, en dehors d’être d’une effrayante bêtise, est bien se poser en ennemi de la pensée.
Libre de penser que la poésie n’est ni pure ni engagée ni dégagée mais qu’elle pense - et panse aussi, sûrement – elle se doit d’être les deux « en même temps ».
Je suis encore libre de penser aussi « Wozu Dichter…. » mais je préfère ne pas à ceci d’Hölderlin, sur quoi je retombe en feuilletant : « Qui donne à tous, pauvre et riche, le jour de la pensée,/ Qui nous redresse, à ce tournant des siècles,/ Nous qui allions dormir, et comme enfants/ Nous tient par ses lisières d’or. »
Alors, comme je suis encore libre de circuler dans les livres - comme par hasard – depuis un mois, je me suis trouvée littéralement plongée dans un seul texte, le Journal de Gide, que je n’avais pas lu. Pourquoi ? c’est un mystère. Pourquoi ces temps-ci ? c’est un plus grand mystère encore. Je ne peux lire que cela.
Pour reprendre ces deux mots, lus dans la réponse d’Albarracin, le Journal de Gide est d’une « gratuité magnifique » et surtout d’une identité multiple. Il me parle, à moi seule, comme s’il me racontait sa journée, avec douceur, avec colère, avec humour, avec puissance, avec épuisement moral, avec orgueil ; sûr de son génie et de sa faiblesse, sûr de ses contradictions.
Et avec, par exemple, une phrase comme celle-ci : « Ce que j’aime en l’œuvre d’art, c’est qu’elle est calme. ». Mon consolamentum.
Dominique DOU
6 janvier 2016


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