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d'après Maupassant N°42

Publié le 17 janvier 2016 par Dubruel

D'après LE REMPLAÇANT (2 janvier 1883)

Cet après-midi-là, je discutais avec mon ami Marcel Gaudin, capitaine des Dragons. Nous étions assis à la terrasse d'un café proche de sa garnison.

-" Cette dame qui vient de passer, tu la connais ? "

-" Non. "

-" C'est Mme Boutet. Son mari était le notaire de la ville et elle, utilisait le premier clerc ... pour son service particulier ! "

-" Elle aimait les hommes, quoi de plus naturel ! "

-" Oui, sûrement mais écoute la suite. Elle est piquante. Hier, j'ai surpris deux hommes de ma compagnie, les brigadiers Lagoutte et Magny en train de se flanquer une sacrée tripotée ! Ils se battaient pour cette Mme Boutet !

Je les ai séparés. Lagoutte se calma et me raconta : '' Y a z'environ dix-huit mois, je me promenais au parc Masséna quand m'aborda une particulière : ''Voulez-vous, beau militaire, gagner dix francs, chaque semaine, et honnêtement ? '' J' lui ai dit oui. Alors, elle m'a répondu: '' Venez chez moi demain à midi. Je m'appelle Mme Boutet et j'habite 6 rue Racine.'' '' J'y manquerai pas'', que j' lui ai dit. Elle me quitta, l'air content et ajouta : ''Je vous remercie.''

'' C'est moi qui vous remercie'', que j' lui fis.

Le lendemain à midi, je sonnais à sa porte. Elle m'ouvrit et me dit : '' Dépêchons-nous, mon chat, parce que ma bonne arrive à treize heures.'' Alors, j' lui ai demandé : ''Qu'est-ce que j' dois accomplir ? '' Elle s'est mise à rire : '' Tu ne comprends donc pas ? Viens t'asseoir près de moi, et jure-moi, mon minet, qu'après, tu resteras muet. Sinon, je te fais mettre en prison.''

Je lui ai juré ce qu'elle a voulu,...mais j'y étais plus. Pi v' là qu'elle m'a embrassé et m'a demandé : '' Tu veux bien ? '' J' comprenais toujours pas. Alors, ell' m'a fait saisir clairement de quoi i' s'agissait. Alors j' lui ai montré qu' dans l'armée, on n' reculait jamais. Mais ça m' tentait guère vu qu' la particulière, elle était pas dans la primeur. Mais faut pas trop s' montrer regardant, car i' s' fait rare, l'argent.

Corvée finie, ell' aurait bien voulu m' garder un peu plus. Alors j' lui ai dit : '' Un p'tit verre, ça coûte deux sous. Deux p'tits verres, ç'est quatre sous.'' Elle accepta.

Depuis, mon cap'taine, j'y vas régulièrement chaque semaine. Or samedi dernier, j' me trouvais indisposé. Pas moyen de m' déplacer. J' me mangeais les sangs, rapport aux dix francs qu'elle m' donnait et dont j' me trouvais accoutumé. Et ça, ça m' révolutionnait de penser qu'elle aurait p't'être pris un artilleur. Alors, j'appelle mon copain Magny, que nous sommes pays et.j' lui fais le récit :'' Vas-y à ma place. Y aura cinq francs pour toi, cinq francs pour moi. '' Y consent, et le v'là parti. Y frappe à la porte de Mme Boutet ; elle l'introduit. Elle s'aperçoit pas qu' c'est pas moi. Un soldat et un soldat, quand ils ont l' casque, c'est idem. Mais soudain, elle découvre la transformation : ''Qui êtes-vous ?'', qu'elle lui d'mande.

Magny lui a démontré que j'étais indisposé et lui a exposé que j' l'avais adressé comme remplaçant. Ell' l'accepte vu que Magny, il est pas mal de sa personne.

Mais quand il est revenu à la caserne, il a plus voulu m'donner la part de sous qui m'revenait. Alors j'y dis : '' T'es pas délicat, pour un dragon. Même que tu déconsidères not' garnison.''

'' C'te corvée, ça valait ça'', qu'y m'a répondu.

Alors, j'y ai mis mon poing dans l' nez. Chacun son jugement, pas vrai, mon cap'taine ? Vous avez connaissance du reste. ''

-''Dis-moi, mon cher Gaudin, comment cette affaire s'est-elle arrangée ? ''

-''Mme Boutet a gardé ses deux dragons !'', m'a répondu Marcel en riant. "


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