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Courbet, vie héroïque… en bande dessinée !

Publié le 19 janvier 2016 par Savatier

Courbet_BD1Gustave Courbet semble, ces derniers temps, furieusement inspirer les auteurs de bande dessinée. Après le Courbet de Fabien Lacaf, qui s’intéressait au peintre sous l’angle d’une fiction policière dont L’Origine du monde était le pivot, c’est au tour d’André Houot, assisté de Jocelyne Charrance, de publier Le Rendez-vous d’onze heures (Editions du Long Bec, 72 pages, 16,50 €). Cette fois, il n’est plus question de fiction ; André Houot traite en effet son sujet au prisme de la biographie. Sous le format de la BD, le défi s’annonçait ambitieux, voire risqué. Or l’auteur le relève avec brio.

Le scénario s’ouvre, dans un bistrot de La Tour-de-Peilz (village suisse où l’artiste vivait en exil), sur la rencontre de ce dernier et d’un jeune allumeur de réverbères auquel il finit par conter son parcours. Nous sommes à la fin de décembre 1877, Courbet n’a plus que quelques jours à vivre ; c’est donc, d’une certaine manière, un testament spirituel (mais athée) qu’il livre à son compagnon d’un soir. On pourrait trouver banale cette entrée en matière, nécessairement fictive ; les deux dernières pages de l’album la transformeront en trouvaille, en jeu de miroirs.

Suivant un canevas chronologique, l’auteur retrace les grandes étapes d’une vie bien remplie : jeunesse franc-comtoise au contact de la nature qui nourrira son œuvre, première approche du dessin, fréquentation de la bohème parisienne, quête du succès, scandales, amours contrariées, rencontres, déchirements, voyages, engagement politique et artistique, participation à la Commune, etc.

Chaque épisode, cela mérite qu’on le souligne, repose sur une exactitude rigoureuse. A titre d’exemples, les joyeuses agapes de la « Fête du réalisme » qui se tint en 1859 dans l’atelier de la rue Hautefeuille, durant laquelle les convives démasquèrent un mouchard envoyé par la police sont une interprétation d’un savoureux témoignage de Charles Monselet, l’atelier éphémère qu’ouvrit le peintre rue Notre-Dame-des-Champ en 1861, où il fit poser un bœuf vivant, reprend un article du Monde illustré de l’époque, le séjour saintongeais pendant lequel Corot vint le rejoindre, les semaines passées à Trouville en compagnie de Whistler, la rencontre avec Khalil-Bey, le commanditaire de L’Origine du monde, sont tout autant conformes à l’Histoire.

Il est vrai qu’André Houot ne s’est pas lancé dans cette aventure à la légère. La bibliographie en fin de volume révèle qu’il est allé puiser aux sources les plus autorisées, comme la monumentale Correspondance de Courbet publiée par Petra Chu, la biographie que Marie-Thérèse de Forges avait écrite dans le catalogue de la rétrospective de 1977, celle de Michèle Haddad, sans oublier le récent Transfert de Courbet qui réunit, sous la direction d’Yves Sarfati, les communications d’un important colloque. L’auteur, qui n’a rien laissé au hasard, s’est également entouré des conseils de Pascal Reilé, grand connaisseur du peintre et du pays d’Ornans.

Ce sérieux travail de documentation, qui dura deux années, explique pourquoi les spécialistes de Courbet chercheront en vain erreurs ou inexactitudes - tout au plus relèvera-t-on deux ou trois coquilles sans gravité dans des noms propres. On appréciera, outre le graphisme, l’approche psychologique du héros (oscillant toujours entre euphorie et dépression), le réalisme des riches paysages comtois, l’atmosphère des scènes parisiennes, les clin d’œil à des tableaux emblématiques, la ressemblance physionomique des protagonistes (le grand-père Oudot, Champfleury, Marc Trapadoux, le comte de Nieuwerkerke, Napoléon III...). Quant aux quelques scènes cauchemardesques durant lesquelles le peintre, interrompant son récit sous l’effet de l’absinthe, se voit persécuté par un aigle, tel Prométhée au supplice, elles ne sont pas sans rappeler les séquences oniriques très réussies dont Joann Sfar ponctua son excellent long-métrage, Gainsbourg, vie héroïque (2010). L'album aurait d'ailleurs pu s'intituler "Courbet, vie héroïque" tant le personnage s'inscrit dans l'engagement et la démesure...

Tout cela est habilement vu, bien rendu, jusqu’aux utiles notes de bas de page qui apportent au lecteur qui ne serait pas familier de cette époque toutes les précisions contextuelles dont il aurait besoin pour suivre la narration sans difficulté. Cette bande dessinée, moins intimidante que le fort volume d’une biographie sans doute, offre aux néophytes de tous les âges la possibilité de découvrir la personnalité et le parcours de ce peintre exceptionnel. Elle allie avec bonheur outil pédagogique et divertissement. Ce n’est pas si fréquent.


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