Magazine Cinéma

Mysterious skin - 10/10

Par Aelezig

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Un film de Gregg Araki (2004 - USA, Pays-Bas) avec Joseph Gordon-Levitt, Brady Corbet, Michelle Trachtenberg, Elizabeth Shue, Jeffrey Licon, Mary Lynn Rajskub, Bill Sage, Lisa Long

Dur. Vénéneux. Bouleversant.

L'histoire : Deux petits garçons de huit ans. Neil, se fait abuser sexuellement par son coach de baseball. Il trouve ça normal ; ils s'aiment. Brian, lui, se réveille un jour amnésique des cinq heures précédentes. Il saigne du nez, s'évanouit, se sent mal. Le même phénomène se reproduit quelques années plus tard. Dix ans s'écoulent. Neil est devenu prostitué. Brian essaie toujours de comprendre ces 2 x 5 heures oubliées et est persuadé qu'il a été enlevé par les aliens.

Mon avis : Quel choc. Quelle claque. Le film qu'on n'est pas prêt d'oublier. Il m'a hantée toute la nuit et je crois qu'il restera longtemps imprimée dans ma tête et dans mon coeur. Une histoire terrible, crue, glauque, et pourtant lumineuse par l'innocence que dégagent les deux personnages, cette part enfantine qui demeure, qui ne veut pas partir, parce que justement, on les a foudroyés à l'aube de la vie, on les a empêchés de la vivre. 

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C'est dur. Quand le film a commencé, j'ai d'abord eu un peu de mal. Un peu bizarre, la réalisation. Deux gamins de huit ans, en parallèle. Le premier, Neil, qui se déclare d'ores et déjà homo, mate sa mère en train de cajoler un amant de passage, parle en termes crus et raconte comment son coach de baseball a abusé de lui, sans qu'il ne semble avoir l'ombre d'un reproche ou d'une peur à son encontre. Limite, ça lui plaisait bien. A cet âge... c'est pas commun. Je me suis dit Ouh la la... c'est glauque, ce truc. Et puis l'autre, Brian, le blondinet, timide, maladroit, que son père traite de mauviette, qui fait soudain des malaises, des cauchemars, saigne du nez, s'évanouit, qui a perdu la mémoire sur quelques heures de sa jeune vie, et s'acharne à vouloir comprendre ce qu'il s'est passé. 

Puis rapidement, on comprend le topo. Ces deux enfants sont liés. Ils étaient dans le même club sportif, ils ont eu le même coach. Il est probable que Brian a lui aussi subi ses assauts et que, profondément traumatisé, il a enfoui ça au plus profond de son subconscient. D'où les malaises. La réalisation devient plus limpide. On se met à suivre avec passion l'itinéraire des deux garçons, devenus jeunes hommes, et on s'attache à eux viscéralement. Ils sont tellement différents, ils ont grandi avec ce fardeau de façon tellement étrange, chacun de leur côté... 

Brian ne trouve qu'une seule explication à ses troubles : il a été kidnappé par des extraterrestres, qui ont fait des expériences sur lui. Il suit avec passion les émissions à la télé, dessine des aliens, note ses rêves, et rencontre une jeune fille qui a raconté dans une émission qu'elle-même fut enlevée. Auprès d'elle, tous ses fantasmes prennent corps : oui, oui, c'est bien ça, c'était les extraterrestres. En même temps, et un peu par hasard, c'est elle qui le mettra sur la piste de Neil, en regardant et analysant son cahier de rêves, son journal intime, où des bribes de souvenirs se dessinent, essaient désespérément de revenir à la surface. Elle pointe du doigt, elle imagine, elle tombe juste... Il déroulera la piste qu'elle a ouverte. Avec une peur immense au ventre. Le jeune homme est resté timide, introverti, solitaire. Cassé par un père qui n'aimait pas les "faibles", puis par un coach qui les aimait trop.

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Neil, lui, se prostitue. Il erre comme un fantôme, à coté de sa vie ; malgré sa meilleure amie qui veille sur lui et essaie de lui faire prendre conscience qu'il va droit dans le mur. Désabusé, mais incrédule quant à la possibilité d'un autre monde que celui qu'il s'est forgé, il vit de ses charmes et se marre : "J'ai b... avec tous les mecs de ce bled !" dit-il à son copain Eric. Une réflexion qui fait froid dans le dos : les hommes sont-ils tous des pervers à ce point ? Ils songent tous à se taper un petit jeune homme, dès que leur femme a les yeux tournés ? Waouh...

Les scènes sont horribles. Crues, trash. On ne voit pas les sexes, ce n'est pas porno, mais c'est puissamment suggestif... D'autant plus crade qu'il n'est jamais question d'amour. Neil se le refuse. Il se moque de son ami Eric, qui est amoureux de lui. Son coach lui offrait 5 dollars pour certaines "prestations". Il a compris qu'il pouvait gagner sa vie comme ça, ça s'est imprimé dans son âme d'enfant. Son amie Wendy tente désepérément de lui trouver un job normal et le supplie, au moins, de mettre des capotes...

Nous le verrons avec toutes sortes d'hommes, dans des situations toutes plus sordides les unes que les autres, le gros pépère bien sous tous rapports dans la vraie vie, le costaud qui donne des ordres, le sidéen qui ne veut pas de rapport pour ne pas le mettre en danger, mais lui demande seulement de lui caresser le dos parce que personne ne veut plus le faire... pour finir par le taré qui le tabasse. Et qui finalement va le "réveiller" de sa torpeur, arrogante et auto-destructrice. 

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Pour finir, il y la scène que Neil raconte à Brian. Ils se sont retrouvés, Brian veut savoir, Neil se souvient très bien. Et l'épisode qu'ils ont vécu en commun est juste une horreur... Je ne savais même pas que ça existait. C'est dur et terriblement émouvant : la souffrance de Brian qui découvre enfin la racine de son mal, et les yeux vides de Neil qui semble comprendre enfin, en disant les mots, en revivant ces instants, que sa vie s'est brisée cet été-là.

C'est vénéneux. Parce qu'il y a ces vies dévastées bien sûr. Mais elles pourraient l'être par tout autre événement traumatisant de l'enfance. Ici nous avons la pédophilie, comme je ne l'ai jamais vue au cinéma. C'est un sujet très rarement traité, justement parce qu'il est hyper dérangeant. Comment traiter un thème pareil ? Greg Arakki y va franco, et finalement il a raison. Il faut appeler un chat un chat. Et tenter d'analyser avec intelligence et compassion. Tout est là, dans ce film, et c'est pour ça que ça nous fait autant de mal, que ça crée un tel malaise. Neil est persuadé que son coach l'aimait : "Il m'appelait son ange. Il m'aimait vraiment. C'est le seul qui m'ait aimé vraiment." Et il a probablement raison. Car on nous montre un homme assez enfantin lui-même, qui adore les friandises, les jeux vidéo, qui est hyper gentil et attentif. Sauf qu'il faut avoir le cerveau dérangé pour penser qu'un enfant de huit ans puisse être mûr intellectuellement pour supporter ensuite des actes sexuels... On dit souvent que la limite de la perversion, c'est le consentement : "tout est possible entre adultes consentants". Donc la pédophilie est une perversion. Parce qu'un enfant n'est pas consentant. Il subit. Et refoule. Oui, mais cet enfant-là est content... Il adorait déjà son coach, il est heureux d'être "choisi". Il "joue", et son "amoureux" est super gentil avec lui... Il y voit un super copain, mais aussi un père, lui qui n'en a pas. Voire une mère, qui lui donne des bonbons et partage du temps avec ses enfant ; lui est le plus souvent seul à la maison, sa mère étant trop occupée à batifoler à droite et à gauche, sans se préoccuper des répercussions que ses multiples aventures peuvent avoir sur son fils. "J'étais son ange...", une réplique qui me marquera à jamais... Un petit ange exterminateur qui entraînera un autre enfant dans cette folie.

C'est bouleversant. Evidemment. Le parcours des deux personnages est captivant. On notera que les deux ont des parents défaillants... La mère de Neil ne se préoccupe aucunement de l'intérêt démesuré que le coach porte à son gosse. Le père est absent. Pour Brian, il est destructeur et ne supporte pas la fragilité de son jeune fils. Il finit par quitter la maison, abandonne sa famille. La mère couve son petit oiseau, hausse les épaules quand il voit des OVNIs partout, mais regarde les émissions de télé avec lui... Ne se pose pas de question sur ses cauchemars, sa solitude. Et pourtant aucun de ces parents ne sont à blâmer, juste des humains comme d'autres. Qui ne comprendront jamais que leur enfant a peut-être vécu un événement exceptionnel... 

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On suit Brian dans sa quête éperdue de réponses à toutes les questions qu'il se pose. Sa passion pour les extraterrestres que son inconscient lui a imposé comme solution idéale. Puis son trouble quand il comprend que des éléments récurrents de ses rêves semblent avoir un rapport avec des réalités de son enfance... il dessine des chaussures de sport aux aliens, il est question de panthères (Panthers, le nom de leur club de baseball)... La scène horrible de l'animal mort, qui va réveiller en lui une sensation abominable (que l'on comprendra à la fin du film). Et son angoisse lorsqu'il rencontre Neil et sait qu'il va lui dire, lui, ce qu'ils ont vécu tous les deux.

On adore Neil (sidérant Joseph Gordon-Levitt !) : mi-ange, mi-démon. Un ange tellement innocent qu'il n'a rien compris à ce qui lui était arrivé, dirait-on. L'expérience qu'il a subie enfant, il s'obstine à la voir comme un acte d'amour, une philosophie de la vie pour lui qui se sentait déjà homo tout petit. Un démon qui vit dans un monde underground, pourri, pervers, drogue, sida, vivant de sa beauté qui affriole les hommes. Sans qu'il comprenne vraiment pourquoi.

Et on rêve que ces deux mômes un peu perdus tombent amoureux l'un de l'autre et vivent enfin une vraie histoire d'amour. Ca, c'est parce que je suis hyper sentimentale...

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A noter, c'est important, que le réalisateur jamais ne porte de jugement sur aucun de ses personnages. J'adore ça. Le scénario est adapté du roman de Scott Heim.

Eblouissant de noirceur. Inoubliable.

Le titre évoque la peau, cet "organe" hyper sensible qui nous lie aux autres, le premier, celui qu'on voit, celui qu'on touche. La beauté et la pureté de la peau d'un enfant, la fraîcheur et la tonicité de celle de l'adolescent, mais aussi celle abîmée du malade ou du vieillard, pourtant toujours aussi avide de caresses. Tout au long du film, tous les personnages à un moment ou à un autre effleure la peau d'un visage. Un des gestes les plus doux et les plus réconfortants. Celui que l'on fait pour soulager quelqu'un quand on ne sait plus quoi dire, que les mots soudain paraissent vides de sens... Le toucher, élément essentiel de la vie humaine. Précieux. A ne dénaturer sous aucun prétexte...

La presse est extrêmement élogieuse. Le commentaire que je préfère : "L'ensemble tirant vers le chef-d'oeuvre lacéré par le fil du rasoir sur lequel il trône fébrilement, si seul dans ce monde désormais terrorisé par le politiquement correct." de Rolling Stone. Ceux qui n'ont pas aimé sont extrêmement rares et assez "pervers" pour avoir noté (enfin c'est ce qu'ils pensent) que Joseph Gordon-Levitt est trop beau... et trop aimé par la caméra d'Araki (comprenne qui veut...) ou que les enfants du début sont trop mignons et donc trop attirants... Pour qui donc, messieurs ?

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Même accueil chez ceux qui ont vu le film. Ils adorent, ils sont bouleversés. Et ça fait du bien de constater qu'il y a encore du monde à aimer le cinéma intelligent ! Interdit aux moins de 16 ans, seules 13.000 personnes l'ont vu en salle. Mais le film a heureusement trouvé sa place, semble-t-il, par d'autres moyens de distribution.

Olivier, toi qui aimes les films choc, j'ai vu dans ton index que ce film n'y figurait pas. Je t'invite à le voir et à nous donner ton avis !

Le film entre dans mon Challenge dans la catégorie LGBT. 


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