A Jujuy, le système mis en place par
l'organisation Tupac Amaru, qui se réclame de la révolution
sociale, commence à apparaître au grand jour : un système de
captation de fonds publics au profit de la dirigeante qui s'en est
servi, de manière discrétionnaire, sans l'ombre d'un contrôle
démocratique, pour lancer toutes sortes de chantiers, alors
qu'elle-même n'avait aucun mandat exécutif constitutionnel qui l'y
autorisait. Certes, ces chantiers ont considérablement amélioré la
vie de certains (tant mieux pour eux), mais cela s'est fait au prix
d'une opacité et d'un clientélisme qui sont maintenant dénoncés
comme autant de manœuvres de chantage et de racket par certaines des
organisations qui en étaient exclues ou des coopératives qui ont dû
s'y soumettre pour rester dans la course économique. La dirigeante
mise en cause, Milagro Sala, qui est aussi députée au Parlasur (la
chambre supranationale de l'UNASUR) est en prison et une instruction
de la justice provinciale de Jujuy est en cours. Au grand dam de
Página/12 qui la soutient mordicus en évoquant, comme un gage
d'innocence, son origine indienne et humble (comme si on ne pouvait
pas être malhonnête quand on est un Indien prolétaire) et en
accusant le Gouverneur Gerardo Morales (UCR) d'inventer des griefs
fantaisistes et absurdes.
A Buenos Aires, un montage financier
ahurissant est maintenant mis à jour à TV Pública autour de la
défunte émission 6, 7, 8 : un débat non contradictoire (1)
entre six journalistes et animateurs, qui occupait l'antenne tous les
soirs, en prime-time, du lundi au vendredi, et soutenait la politique
du gouvernement en place tout en critiquant l'opposition, voire en la
calomniant ou en la tournant en ridicule. Les documents sortent et montrent
qu'une bonne part du budget monstrueux de la production a été bâtie
sur des contrats captifs de publicité pour l'ANSeS, la sécurité
sociale qui, en Argentine, est une administration d'Etat et non pas
un organisme paritaire (elle ne dispose donc d'aucune marge
d'autonomie par rapport au gouvernement. Au contraire, c'est une
division du ministère des finances). L'ANSeS achetait donc à prix
d'or des campagnes de promotion des services qu'elle offre à la
population la plus modeste et ces sommes ont fait tourner en partie
le studio pendant les six ans qu'a duré l'émission. Les contrats
découverts par les nouveaux dirigeants de l'audiovisuel public ont
été envoyés à la Commission d'enquête anti-corruption qui a pour
mission d'instruire les cas de corruption publique qui passeront en
justice.
Lorsque Cristina Kirchner avait mis fin
au régime de retraite par capitalisation pour mettre en place un
régime obligatoire et universel de retraite par répartition,
l'opposition avait beaucoup crié en l'accusant d'emblée de vouloir
se servir personnellement dans ce nouveau trésor placé à sa merci.
On avait alors beaucoup parlé du vol de l'argent des retraités :
la plata de los jubilados retentissait dans le paysage politique
argentin comme un cri de guerre de l'opposition. En l'absence totale
de preuves de telles malversations, j'avais écarté ces critiques
qui s'exprimaient a priori. Mais il faut croire qu'elles n'étaient
pas dénuées de fondement et qu'elles s'élevait contre un un
système si verrouillé que personne n'a jamais osé faire sortir le
moindre document qui aurait pu servir de preuve dans ce sens (comme
cela est presque toujours possible dans des démocraties
institutionnellement plus rodées). Ce verrouillage, qui se déduit
de ce silence longtemps respecté et enfin rompu (2), depuis que le
gouvernement actuel a accès aux archives, donne quelque consistance
au discours de l'opposition d'alors, la majorité d'aujourd'hui, qui
parle de "mafia kirchneriste", de "clanisme", de "ministère de la
propagande", d'"abus du bien public à des fins partisanes"...
Lorsque je voyais ces campagnes de la
protection sociale d'Etat, je voyais surtout une sensibilisation des
travailleurs à l'existence de leurs droits, une sensibilisation
susceptible de faire reculer l'embauche au noir, puisque l'économie
au noir en Argentine est beaucoup plus le fait du patronat que le
système D de gagne-petit qui cherchent à mettre des sous de côté.
C'est probablement l'un des effets recherchés et sans doute obtenus,
mais de toute évidence, ce n'était pas le seul !
La Nación publie ce matin
l'intégralité du contrat endogamique qui répartit les rôles entre
les trois entités de RTA, la holding elle-même (Radio Télévision
Argentine), TV Pública et Radio Nacional, et qui définit le recours
à la publicité. De là à dire que La Nación accomplit le travail
d'un Mediapart, il y a un grand pas qu'il convient de ne pas
franchir. Il est plus que probable qu'elle n'est pas allée chercher
le document mais qu'il a été mis à disposition de la presse par le
gouvernement ou la nouvelle direction du groupe RTA. Il ne s'agit
donc pas encore d'un journalisme d'investigation... Mais enfin, c'est
toujours mieux que les précédentes accusations sans preuve.
Pour aller plus loin :
lire l'article de La Nación sur le
coût de l'émission et les détails du contrat publicitaire
lire l'article de Clarín
lire l'article de La Prensa.
On peut aussi lire sur La Nación, qui
semble être leader sur ce sujet, l'article publié dès mardi sur ce
montage budgétaire, l'article publié le 17 janvier sur la
provocation bravache de Victor Hugo Morales qui lançait à Hernán Lombardi
qu'il était prêt à reprendre du service sur TV Pública, au nom du
pluralisme, à condition de reprendre les journalistes de 678 pour
refaire le même type d'émission et enfin la seconde grande interview donnée par Hernán Lombardi, le 15 janvier dernier, sur la politique qu'il entend
mener dans l'audiovisuel public et où il annonçait vouloir garder
Victor Hugo Morales sur Radio Clásica (la première de ces deux très
longues interviews a donné lieu à une présentation sur Barrio de Tango le 29 décembre 2015).
On attend maintenant de voir à quoi
ressembleront les grilles de radio et de télévision à la rentrée
et si elles seront aussi pluralistes que le gouvernement veut bien
nous le promettre. Pour l'heure, on constate qu'il y a une plus grande transparence dans la mesure où la presse est davantage informée et que les journalistes peuvent poser des questions, y compris celles qui fâchent, et les réponses, y compris les esquives, ressemblent beaucoup à celles que l'on connaît sous nos cieux européens.
(1) Donc ce n'était pas vraiment un
débat, même si pour une bonne partie des Argentins c'en est bien
un. Ce que nous appelons pluralisme est encore une réalité inconnue
de la majorité des Argentins, qui pourraient pourtant en avoir
l'expérience en allant regarder ce qui est disponible sur depuis
l'étranger sur le site Internet de la Radio Télévision espagnole
(RTVE).
(2) Comme cela se passe aussi à Jujuy.