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(note de lecture) Christian Hubin, "Rouleaux", par Michael Bishop

Par Florence Trocmé

Hubin, rouleauxVague sur vague, les rouleaux de Christian Hubin déposent sur la blancheur des pages le noircissant poïein de leur liquide et fuyante musique. Fracturant, consciemment, apophtegmatique, ruisselant de densité, voici le long et inachevable poème jaillissant incessamment du non-espace où la parole lutte avec tout ce qui la diffère et la fait éclater. Déferlant entre mémoire et inarticulation, tantôt avec une sobriété qui frôle suicidairement ce qui se nomme ‘la haine’, tantôt offrant des signes d’une douce caresse, toujours avec une sorte de sévérité synonyme d’agnose et de bégayante créativité se pensant jusque dans ses os, le poème hubinien s’inscrit comme ‘un veuvage dans [une] clairière surexposée’. Ceci dit, et malgré le sentiment, qui visiblement lui est cher, de la dimension tautologique et autoérotisante du langage, l’auteur de Prélude à une apocalypse et Coma (…), de Ce qui est et du Sens des perdants, ne se prive pas non seulement de quelques rares expressions d’un devoir, d’une nécessité même par rapport de l’écrit, mais aussi de la si précaire mais si réelle splendeur, même si elle ‘n’a pas d’assise’, de sa constitution comme chant, comme melos, cela qui, au sein de ce qui perturbe ou opprime, s’élève, improbable, à peine perceptible, vigueur, énergie, résistance, fabrication, amour et respect : précisément poïein.
Voici, ainsi, le poème de l’interrogation de l’être, sa prolifération, ses dissonances, sa fragilité, son innommabilité, en un mot, tout compte fait, ses foisonnantes fascinations. Lisant, on se trouve dans l’heureuse impossibilité d’accéder à une sorte de summum logique d’où contempler la hiérarchie et l’ordre d’un livre fait de pluralités vertigineuses, de continuités en perpétuel devenir. Rouleaux est un vaste réservoir de la conscience qu’un homme, un grand poète, peut avoir de ce qu’il est-fait-pense face au grand dehors avec ses innombrables dedans. Si Christian Hubin déclare ‘[s’être] très peu rencontré’, c’est sans aucun doute qu’il saisit, dans ce livre, comme ailleurs, la pleine et si extraordinaire infinité qu’il ne cesse de vivre et de tenter d’écrire. ‘Dire comme il neige, dit-il souriant, comme voici vos animaux, vos gélules sans distance ni abandon – sans attribution possible’. Inutile d’affirmer ici vérités et sagesses. L’écriture, la poésie ‘n’a rien à reprocher – ni à la langue dont elle s’extrait, ni au monde – où elle porte atteinte. Elle est à son mythe, à son détriment’. Elle en est la musique même. L’art, on le sait, prend des formes radicalement distinctes. Ce qui les propulse, c’est la passion, le désir ; ce qui les transmue, c’est une discipline mentale qui n’a rien de fixe quant au visage offert au monde. Celui de Rouleaux s’avère être d’une riche et austère puissance qui ne flanche jamais.

Michaël Bishop
Christian Hubin. Rouleaux. L’Étoile des limites, 2015. 121 pages, 15 euros.


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