l'handicap cela n'arrive qu'aux autres, il n'arrivera jamais dans ma famille. et pourtant, un soir de mai, sans prévenir, il est arrivé. comme ça, une minute a suffit pour qu'il s'installe bien tranquillement. cette histoire, je n'en parle pas. peu de gens le savent, je n'aime pas en parler parce que cela me rend encore triste. parce que je ne veux pas me plaindre auprès des autres. les autres qui te jugent, te voient autrement. mais aujourd'hui et avec l'autorisation de ma chère maman, j'ai décidé d'en parler. oui tu comprendras que c'est elle qui est touché. ma maman est handicapée, je déteste ce mot. elle doit le détester aussi. un soir, une minute et ta vie bascule.
parlons des faits : une voiture de deux tonnes s'est fait renversée par une de la moitié de son poids. à bord de la première ma maman et ma soeur, dans l'autre un couple. personne n'est décédé ce soir là, enfin en tout les cas pas dans ces faits. les secours sont arrivés, un hélico aussi. ma maman avait peut-être en projet de faire un tour en hélico, elle l'a eu gratuitement. j'ose imaginer que jamais elle n'aurait pensé qu'il allait être fait dans ces conditions. ma soeur n'a rien eu lorsque j'ai vidé la voiture, j'ai réalisé que c'était la hauteur de la voiture qui l'avait sauvé. elle a été ramené par mon papa qui rentrait du travail à cinquante kilomètres de là. c'est aussi à ce moment là que mes grands-parents ont choisi pour téléphoner, ils étaient en suisse et rentraient le lendemain. j'entends encore mon grand-père me demander si tout allait bien, je ne voulais pas leur dire que non mais j'ai craqué en pleurant, "non maman vient d'avoir un accident". à ce moment là, tu ne sais pas quel est la gravité. ma soeur nous a expliqué ce qu'il s'était passé. on était seul. mes petits-frères pleuraient. c'est aussi ce soir là où je devais étudier pour mon interro de physique le lendemain. finalement, je n'ai pas été en cours le lendemain.
j'avais dix-sept ans, je suis devenue malgré moi une maman en réconfortant les plus jeunes. elle était en vie. ce soir-là, nous n'avons pas vu papa. nous étions seuls. j'ai dormi avec les petits (soit les trois plus petits). et c'est à ce moment là que mon papa a choisi pour me donner des nouvelles, un secret que je devais garder. l'équipe médicale allait tout faire pour garder cette main qui ne tenait plus à rien, j'ai appris plus tard que ce n'était plus qu'un fil qui la tenait. je n'ai pas réalisé que jamais ne sera comme avant. jamais, ce mot que tu dis souvent mais ici il a pris tout son sens. l'équipe médicale l'a sauvé, cette main gauche mais un doigt est parti. dit comme ça en raccourci cela n'est pas grand chose.
ce n'est que quinze jours plus tard, que maman est revenue à la maison. elle a subi quelques opérations et la suite devait arriver. le pire sans doute devait arriver. évidemment, elle ne pouvait plus rien faire comme avant. c'est dans ces moments là que tu réalises à quel point tes mains te servent. à quel point chaque doigt a son importance. on peut vivre avec une main mais il faut plusieurs mois voire des années.
ma maman, six enfants, hyper active, maternante,... a vu sa vie changé.
le regard des autres
l'enfer c'est les autres, merci sartre et tu avais raison. les autres te dévisagent parce que tu es différent. les autres n'aiment pas la différence. le mieux est de rester dans le moule que les autres ont construit. ce regard change totalement. tant sur ma maman que sur la famille, on te regarde plus pareil ou en tout les cas dans les premières semaines. tu deviens la personne à plaindre. et finalement, ce n'est pas comme ça qu'il faut réagir.
les autres ne savent pas réagir. certains se plaignent encore plus. mais bordel, on s'en fout qui a eu plus pire ou moins pire. les autres veulent t'aider mais finalement c'est mieux qu'ils ne fassent rien. les autres ne sont pas préparés. ni ma maman d'ailleurs.
à cause des autres, ma maman cache sa main. les autres se retournaient devant ses bouts de métal qui sortaient de sa main. c'était impressionnant oui mais souvent cela était indécent. les autres sont tellement vite choqués.
je sais que c'est pour ça que j'en ai très peu parlé. je ne voulais pas qu'on me plaigne parce que même si cela a été dur des mois voire des années, j'ai accepté. je parle encore de ce soir-là avec les personnes concernées. parce que cela m'a marqué. il y a des souvenirs qui s'oublient néanmoins ceux-ci restent.
accepter que plus rien ne sera comme avant
l'handicap est un deuil aussi. celle que je connais le mieux est l'acceptation. cela ne se fait pas du jour au lendemain, tu comprendras j'espère. ma maman courageuse a connu depuis des années une multitude d'opérations. l'espoir comme le désespoir. mais toujours avec ce courage qui ne l'a quitte pas.
quand tu n'as plus qu'une main au début, parce que clairement pendant des mois, elle n'a pas pu se servir de la gauche, tu es fortement réduite dans ce que tu peux faire. par exemple, se coiffer les cheveux, essaye de faire une queue de cheval correcte avec une main ou même ouvrir une boite en métal. tu ne peux plus attraper ce qui est en haut dans les rayons. bref ma maman hyper autonome ne pouvait plus rien faire. les simples gestes du quotidien lui étaient impossible. papa a acheté beaucoup de choses électriques en cuisine pour lui faciliter la vie, tu crois qu'un ouvre-boite électrique est un gadget, ma maman bénit l'inventeur.
puis ma maman, ce n'est pas le genre a demandé de l'aide. elle a "renvoyé" les aides à domicile. elle a tout réappris grâce à sa force.
après toutes ces années, elle a retrouvé une mobilité parce qu'elle n'a rien lâché même si je t'assure cela a été TRES dur. je ne peux pas te dire combien de séances de kiné, elle a dû faire pour arriver à ce résultat. sa main reste faible évidemment mais elle peut se coiffer, faire la cuisine (dans la mesure du possible) mais elle ne peut pas porter une casserole pleine d'eau,... tout le monde voit du progrès. elle reconduit avec une boule accrochée à son volant. elle est de nouveau autonome. ce n'est pas facile.
l'espoir de guérison
évidemment depuis le début ma maman veut retrouver sa mobilité d'avant mais avec neuf doigts. au début, je pensais que cela n'allait jamais arriver. mais au plus, je la vois et au plus je trouve que cette main devient belle et se remet droite.
il y a évidemment cette prothèse à paris faite par des artistes dans une clinique privée près de madeleine. de nombreux aller-retours parisiens. le point positif est que j'ai pu voir mes parents quelques fois. cette prothèse esthétique l'aide à assumer le regard des autres. parce que oui ce regard est gênant tant pour elle que nous.
la kiné est toujours présente, avant c'était au quotidien, maintenant plus espacé. après, il y a l'expérience. ma maman fait ses exercices seule. dans l'espoir de guérir.
il y a aussi un suivi psychologique (depuis le début et heureusement d'ailleurs), la dépression, les médicaments,... ce qui t'aide à aller mieux et ce qui t'enfonce. beaucoup d'aller retour en hôpital. j'ai vu ma maman dépérir plusieurs fois parce que le temps est long. on est habitué que tout aille vite mais une greffe prend des années à se faire correctement.
l'espoir reste là, il y aura pour ma maman une guérison. elle sera surtout psychologique. sa main restera comme cela. il y a les progrès cliniques mais elle n'en est pas encore là. on estime à plus de 30% d'handicap, juste la main gauche. cela m'a semblé tellement grand comme pourcentage. néanmoins pas de carte, pas de place réservée.
mais finalement, le plus important est que ma maman soit en vie ! j'ai réalisé à travers ces années qu'elle était plus qu'importante dans ma vie. je vous avoue, dans cette période douloureuse j'ai eu beaucoup de mal avec cette maman, qui souffrait mais que je ne comprenais pas. ma maman est forte. elle qui voulait travailler vu que nous sommes tous grands ne le fera plus jamais. mais ma maman s'est mise dans la création !
cet article a été écrit avec ma maman, elle voulait aller plus loin dans certains propos mais pour des raisons personnelles je n'ai pas voulu tout vous dire.