Magazine Culture

(anthologie permanente) Laurent Albarracin

Par Florence Trocmé

Laurent Albarracin publie Le Grand Chosier aux éditions le Corridor Bleu. On pourra trouver très prochainement des notes sur ce livre dans le Flotoir.

Grappin d’abordage
Que faire d’un grappin d’abordage qu’on vous tend ?
Pourquoi vous tend-on un grappin d’abordage, d’abord ?
Que voulez-vous que je fasse d’un grappin d’abordage ?
Est-ce un piège ?
Est-ce un abordage ?
C’est d’abord incongru, un grappin.
C’est un grappin d’incongru, avant que d’être d’abordage.
Qu’est-ce donc qu’un grappin d’abordage ?
Mais je dois sûrement le lancer, ce grappin d’abordage.
On ne garde pas comme ça un grappin par devers soi, d’abordage ou pas d’abordage.
Le lancer vers quoi ?
Le lancer pour quoi ?
(…)
Laurent Albarracin, Le grand Chosier, Éditions le Corridor bleu, 2015, p. 7.
ndlr : ce texte, dont n’est donné ici que le début, est aussi l’incipit du livre.
Le miel
Le malheur du miel lui vient d’être trop prometteur. Il est visuellement tout entier félicité, tout entier pleine adhésion à lui-même. Mais à force d’être ainsi moulé à sa forme, d’être en mélange avec son apparence, il n’est plus que tromperie. Ne faisant qu’un avec son aspect, il est illusion. Sa ductilité le condamne. Il coule comme du jus de lanterne. Sa fausseté provient en effet de sa trop grande univocité onctueuse. Il est trop richement lui-même pour être honnête. De même qu’il est trop chichement autre chose que lui-même pour être vraiment soi. Sa surface est trop intimement mêlée à sa profondeur, lorsqu’on l’éprouve de la cuiller dans le pot, pour ne pas résulter d’une fourbe machination. Une telle unicité de comportement sous la manipulation ne peut venir que d’une duplicité supérieure. On n’a jamais vu pareille tresse faite d’un seul brin, que je sache. Sa netteté d’apparence est louche. Être si peu trouble, est-ce possible ? D’ailleurs le miel est doux, mais son goût ne l’est pas. On dirait un tank de fleurs qui passe dans la gorge. En vérité ce sombre éclat cache une râpe mielleuse, une âpreté dans des rubans. Et cette facilité à couler, c’est surtout propension à coller. Le miel est de la poix sucrée. De la poisse de miel.
La semoule
La semoule est déliée, quoi qu’on en dise. Elle pédale avec élégance, étant une sorte de moulin réduit à sa pierre réduite à son grain. La semoule est une farine qui serait grossie assez pour qu’on en voie les mécanismes à l’œuvre, les rouages et les meules qui la font farine. Car rien de ce qui est n’est inactif (et rien de ce qui est n’est autre chose que les causes actives dont il est apparemment le résultat). La semoule roule sur elle et comme se passe la main dedans pour éprouver sa lourde fluidité, son roulement entre les doigts comme une eau grondante de plaisir tenu. Je parle ici de la semoule avant cuisson, bien sûr. La semoule cuite, elle, est un gâteau naturel et tremblant. De l’écroulé lumineux.
Laurent Albarracin, deux extraits de « Petite métaphysique culinaire », Le grand Chosier, Éditions le Corridor bleu, 2015, pp. 21 et 22.
Laurent Albarracin dans Poezibao :
bio-bibliographie, Pierre Peuchmaurd, témoin élégant (parution), entretien sur la collection le Cadran Ligné, ext. 1, "Le Secret secret", par Henri Chevignard, [notes sur la création], [entretien] avec Laurent Albarracin, ext. 2, ext. 3, ext. 3, ext. 4, (note de lecture) Laurent Albarracin, "Le Ruisseau, l'éclair", par Christian Hubin.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Florence Trocmé 18683 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines