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Oublier le « tout public » ? De la motivation à la fidélisation des publics

Publié le 29 janvier 2016 par Aude Mathey @Culturecomblog

Récemment nous avons évoqué l’expérience culturelle. De part ses caractéristiques émotionnelles, sociales, celle-ci est propre à chaque individu. La notion de « tout-public » ou de « grand public » perd alors de son sens. Que faire pour nouer une relation durable entre un public multiple et volatile et le projet de sens d’un lieu  culturel ? Explorons ensemble quelques pistes

Le marketing relationnel : une solution ?
Communiquer de façon unilatérale pour attirer de nouveaux visiteurs, spectateurs, adhérents ne suffit plus. Avec la concurrence accrue, il est nécessaire de travailler à la refréquentation, la fidélisation… Faut-il utiliser le marketing relationnel ? Celui-ci peut se définir ainsi :

Une politique puis un ensemble d’outils destinés à créer des relations individualisées avec son public. Et cela en vue de créer une attitude positive durable à l’égard de son projet, de sa marque.

On retiendra trois éléments qui peuvent s’appliquer au monde culturel :

  1. Le fait de mettre en oeuvre des actions personnalisées plutôt que des moyens de masse.
  2. La volonté d’aller au delà d’une simple transaction, de créer une véritable relation.
  3. La nécessité de s’appuyer sur un projet de sens global auquel les publics vont s’attacher : un projet culturel et artistique. Un échange sur la base de symboles, de valeurs

De nombreux exemples du champ culturel prouvent cette volonté de créer une relation entres projets artistiques et publics : les abonnements des scènes de spectacles vivants, les manifestation saisonnières des musées et monuments (dont les expositions temporaires)… Ou encore les communautés de fans guettant inconditionnellement les nouvelles de leurs artistes fétiches.

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Motivation, satisfaction et confiance
Nous l’avons vu, il n’y a pas une expérience culturelle, mais des expériences associées : celle liée au contenu artistique / culturel, les services périphériques et l’expérience sociale. Il convient de tenir compte de ces paramètres pour gérer la satisfaction de ses publics. Par exemple :
– le personnel d’accueil a un rôle important et central : il est la première et parfois la seule interface, le seul lien social entre les publics et l’organisation culturelle
– la fréquentation peut être au rendez-vous, mais comment gérer l’insatisfaction ? La demande exprimée par les visiteurs (billets virtuels, coupe file, annonce du temps d’attente, organisation des files, abri en cas d’intempérie, application mobile ou documentation à disposition, bancs ou siège…) dans un contexte de files d’attente (billetterie, vestiaire…) est très forte et joue sur la satisfaction. Le Comité Régional de Paris a ainsi publié un guide à l’intention des professionnels pour gérer l’attente et les flux.

Justement qu’est ce que la satisfaction ? C’est un sentiment de plaisir né de la comparaison entre attente préalable et expérience vécue. L’expérience doit être égale, voire supérieure aux attentes. C’est elle qui va confirmer ou infirmer ces attentes. Ces attentes sont déterminées par 4 facteurs :

  1. « On m’a dit que… » : le bouche à oreille
  2. « Je veux, je désire » : les besoins spécifiques des publics
  3. « La dernière fois, je… » / « Avant c’était comme cela » :  l’expérience passée
  4. « J’ai lu, vu entendu que… » : la communication

Difficile, cependant, de confronter une expérience culturelle à des attentes particulières… Chaque expérience vécue est unique. L’expérience proposée doit donc tenir compte :

  • du projet de sens : le « contrat global » passé avec les publics : « je viens ici parce que… »
  • des attentes du public : « je viens ici pour… »
  • de la volonté de traduire l’expérience proposée en une expérience vécue : « je viens ici parce que la communication me promet… »

La vente d’une entrée pour un concert, une visite, un spectacle… est un lien transactionnel entre l’organisateur et ses publics. Ceux-ci s’attendent à tirer un bénéfice (expérientiel, cognitif, émotionnel…) de leur achat. Dans chaque transaction, le consommateur perçoit une forme de risque à consommer : c’est le risque perçu. Son acte d’achat va, en effet, engendrer des conséquences qu’il ne maîtrise pas complètement. Dans le cas d’une expérience culturelle (c’est plus particulièrement vrai pour le spectacle vivant), du fait du caractère intangible, prototypique, unique du produit proposé, ce risque perçu est
élevé : « Difficile de savoir si tel spectacle, tel exposition, tel concert va répondre à mes attentes tant que je ne l’ai pas vu ».
Dans ces conditions il doit s’instaurer une relation de confiance entre le public et l’organisation. Une confiance qui doit s’accompagner à deux niveaux : confiance dans le genre (art, culture, musique…) et confiance dans l’organisateur (le programmateur de spectacle vivant par exemple). Dans ce dernier cas, plusieurs dimensions contribuent à la confiance :

  • la crédibilité : compétence perçue de l’organisateur, savoir faire, crédibilité associée à une marque culturelle
  • l’intégrité : la capacité de l’organisateur à tenir ses engagements
  • la bienveillance : l’attitude de l’organisateur doit être tournée vers l’intérêt des publics

Quels sont les facteurs de l’instauration de la confiance ?

  • Elle dépend de l’organisateur : quelle réputation a-t-il (réputation résultant d’expériences passées) ? Comment s’investit-il dans sa relation aux publics (bienveillance) ?
    A ce stade, le personnel en contact avec les publics joue un rôle essentiel d’accompagnement et de création de la relation par sa compétence, sa sympathie / son comportement relationnel, sa capacité à honorer ses promesses… La qualité perçue de la »marque » culturelle contribue aussi à la confiance
  • Elle dépend des publics : sont-ils familiers avec le lieu, la programmation ? Conservent-ils un bon souvenir de leurs récentes expériences, fruits de leur satisfaction ? Fait-il confiance facilement ? Et  a-t-il confiance en lui ?
  • Elle dépend de la relation réciproque entre public et organisateur : une relation qui se construit dans le temps, basée sur l’échange bilatéral d’informations, une communication de qualité, fréquente, pertinente et transparente… La communication renforce la confiance et vice-versa. Enfin cette relation s’instaure sur l’échange réciproque de valeurs communes (définies dans le projet de sens proposé par l’organisateur).

Qualité et confiance
Le premier pas vers la fidélisation c’est donc la confiance, notamment liée au niveau de qualité des expériences (offre artistique et culturelle, services périphériques, facilitation des interactions sociales). La qualité (ou valeur) perçue expliquerait l’intention (ou non) de revenir, de reprendre un billet… Celle-ci peut s’expliquer par différentes composantes qui vont influer sur la satisfaction : l’aspect esthétique, la performance esthétique, l’esthétique du lieu, sa scénographie, la fonctionnalité / le confort du lieu, l’organisation générale de l’événement, les interactions sociales… Soit la capacité de l’institution à satisfaire ses publics avec constance, équitablité… Et de rester fidèle à son échelle habituelle de qualité.

De fait, l’insatisfaction naît de la rupture : une mauvaise expérience ne va pas forcément avoir un impact négatif (cela dépend, nous le verrons du « profil » la personne concernée) : « je n’ai pas aimé le spectacle / l’exposition, mais l’ambiance est géniale / mais j’ai passé un bon moment en famille / avec mes amis ».  Mais la répétition de mauvaises expériences peut avoir un impact sur l’évaluation de la qualité. Mieux vaut surprendre que décevoir : l’écart entre offre proposée et offre réelle est rédhibitoire. Certaines attentes du public sont considérées comme normales, elles ne constituent pas un motif de satisfaction. En revanche leur non-réalisation déclenchera une insatisfaction plus vive (la gestion des flux et des files d’attentes, l’amabilité du personnel, un spectacle qui commence à l’heure…) Dans l’autre sens, un service non attendu peut surprendre le spectateur / le visiteur et « booster » sa satisfaction (une scénographie originale autour de la programmation d’un festival, l’attention extrême du service des publics d’un musée à ses visiteurs).
Pire : rompre le fameux contrat passé avec son public détruirait la relation entre le public et le lieu (surfréquentation, commercialisation à outrance, projet opportuniste qui a « perdu/vendu son âme »).

Au delà de la satisfaction : la fidélisation
Dans le contexte culturel actuel, la concurrence est élevée… Le public a l’embarras du choix, face à une offre pléthorique. La fidélisation peut être une réponse.
Mais cette « fidélité culturelle » reste cependant subjective. Elle est en effet liée à une composante affective très forte. Une subjectivité liée à la nature hédoniste, symbolique et multi sensorielle de l’offre culturelle. Les publics sont, par ailleurs, à la recherche de variété et de nouveauté. Une pratique exacerbée par les outils  virtuels (streaming, Youtube, podcast…). La multifidélité n’est pas rare dans le champ culturel. Ainsi, la rétention d’un public est donc difficile à obtenir (pas de « frein à la sortie »)
Mais les lieux culturels possèdent une haute capacité relationnelle. Avec des atouts que beaucoup d’entreprises peuvent leur envier :

  • la force et l’aspect émotionnel de ce qu’ils proposent.
  • le lien fort qui est capable d’unir public et oeuvre, public et artiste, voir public et genre artistique

Car si la fidélité peut se manifester envers un lieu / une organisation culturelle, cet attachement peut se faire envers un artiste, un genre culturel. Elle peut avoir plusieurs objets. Et ces derniers peuvent se combiner. Souvent la fidélité à un  un lieu / artiste est le reflet d’un fidélité plus globale à un genre artistique. (je suis fan d’art contemporain donc je suis facilement fidèlement à ce centre d’art contemporain). Cette fidélité à ce lieu s’explique par sa familiarisation au genre fréquenté.

La satisfaction amène t-elle la fidélité ? Un spectateur / visiteur satisfait ne devient pas pour autant fidèle D’autant que le jugement de la satisfaction est d’un côté, très subjective et de l’autre, liée aux accompagnateurs (dimension sociale de l’expérience culturelle). La qualité de l’expérience reste toutefois une condition de la naissance d’une forme de fidélité.
Une étude (Juliette Passebois, 2003 ; 2005), dans le domaine des musées, met en évidence 2 types de fidélité :
– élémentaire : s’exprime par une volonté de refréquenter, une intention de bouche à oreille favorable
– relationnelle : sentiment d’attachement à une organisation, ses produits ses services
Par ailleurs cette étude montre que plus le visiteur est novice, plus son intention de fidélité est liée à la qualité de l’expérience. Plus il est expert, moins la fidélité dépend de la satisfaction expérientielle.

La fidélité peut aussi naître de la conviction que l’offre culturelle proposée est supérieure aux autres (je trouve que tel lieu culturel / artiste est le meilleur dans sa catégorie) . Dans ce cas, elle engendre un engagement fort et une  propension à défendre / recommander le lieu ou l’artiste (et favoriser le bouche à oreille, premier média dans la culture). Elle génère aussi une fréquentation plus intense (du lieu ou de l’artiste).

Une expérience culturelle se caractérise notamment par son aspect social. Lors d’une expérience en groupe, il y a une pluralité de décisions, de jugements… La fidélité s’explique donc aussi par le contexte socio-culturel dans lequel a lieu l’expérience. La fidélité culturelle participe alors à une construction identitaire, à  l’appartenance à un groupe social, à une communauté. Par exemple, la fréquentation d’un festival s’apparentera à un « pèlerinage annuel »  : dis moi à qui tu es fidèle, je te dirais qui tu es…

Si la satisfaction, nous l’avons dit, amène la confiance, la politique relationnelle doit s’attacher à créer une identification à l’organisation culturelle. Soit le sentiment de partager des valeurs communes qui va créer l’engagement sur le long terme, la réciprocité de l’échange. De cette identification naît un attachement affectif à l’organisation culturelle, un sentiment d’appartenance, voire une certaine fierté.

Accompagner les publics

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Fidéliser reviendrait à accompagner les publics de la satisfaction à l’attachement pour l’organisation culturelle.  Cet attachement se construit à mesure que les expériences culturelles satisfaisantes se répètent. Mais aussi que le visiteur / spectateur se familiarise avec le lieu culturel, acquiert de l’expertise…
De fait le chemin vers la fidélité est différent chez le primo-visiteur ou primo-spectateur ou chez l’expert. Nous l’avons vu : une mauvaise expérience ne va pas forcément avoir un impact négatif : cela dépend du du profil de la personne concernée :

  • Chez les novices, la confiance naît de la crédibilité de l’organisation (sa capacité à lui faire vivre des expériences satisfaisantes), de sa réputation (le novice se tourne plus vers les marques culturelles : le risque perçu est moindre).
    Ces publics recherchent de l’évasion, de la surprise, du lien social, de la stimulation cognitive
    Ils se tourneront vers un programme relationnel alliant recherche de sens (conférence, visite guidée), lien social (débat, échange d’avis) et expérience hédonique (émotion, évasion). Autant de paramètres qui, sur la durée amélioreront sa satisfaction quant aux expériences vécues. Plus celles-ci seront satisfaisantes, plus il sera en confiance. 
    A noter la nécessaire dimension sociale d’un tel programme : il se fait à l’adresse d’un groupe et non d’un individu. Le novice cherche souvent à vivre une expérience sociale avec des accompagnateurs (famille, amis…)
  • Les experts / habitués recherchent plutôt à s’identifier à une organisation culturelle,  à se retrouver dans les valeurs que celle-ci véhicule. A cette condition, ils maintiendront leur confiance à l’organisation, même dans le cas d’une mauvaise expérience. En revanche, ils seront prompts à tourner le dos à tout opportunisme, à toute action leur donnant l’impression que l’organisateur trahit la promesse initiale. Par ailleurs, plus ils sont assidus à un lieu et une pratique culturelle, plus ils vont chercher (avec une forte probabilité) à engranger des expériences culturelles différentes (Je suis fidèle à tel musée mais je suis aussi assidu à tel théâtre, tel autre musée, ou tel salle de concert…).
    L’organisation culturelle cherchera favoriser leur affiliation, leur engagement, appropriation : clubs, ambassadeurs… Mais aussi à leur ouvrir l’accès à un système d’activités culturelles (soit considérer la pratique culturelle d’un individu comme non isolée mais inscrite dans un ensemble d’activités culturelles) en ouvrant leur programme relationnel à d’autres pratiques culturelles. Leur programme relationnel doit pouvoir s’ouvrir à un réseau facilitant la perméabilité d’un lieu à l’autre.

Bâtir une relation suppose donc de connaître la perception par ses publics des bénéfices de leur fidélité (utilitaires mais aussi hédonistes, sociaux, de reconnaissance…). Mais elle nécessite aussi de construire une vraie stratégie relationnelle, adaptée aux attentes (tangibles et intangibles) de ses publics :

  • Proposer un projet de sens, des valeurs auxquels ils pourront s’identifier
  • Se positionner sur de l’intangible (amitié, émotions, valeurs…) : outre l’aspect différenciant de cette pratique, cela aura pour effet de développer une proximité, une identification sociale, intellectuelle entre le lieu culturel et ses publics.
  • Etonner, diminuer tout sentiment de routine…
  • Amener de la valeur ajoutée, un traitement particulier (privilèges, invitations, avant premières) pour les plus fidèles, si possible en partenariat avec d’autres lieux culturels.
  • développer une relation personnalisée interactive (au delà de l’envoi bilatéral d’informations).
  • Rester dans l’esprit des publics, leur remémorer les émotions positives de leurs dernières expériences, leur donner suffisamment tôt les informations pour organiser leur participation à l’événement (et d’en parler avec leur proches).
  • Proposer des expériences que les publics peuvent faire en groupe (en couple, avec sa famille, son groupe d’amis).
  • Encourager la convivialité / le lien entre les publics (lieu de rencontre / discussion) pour faire de la participation à un événement culturel un rituel, des retrouvailles avec une communauté…

Relation virtuelle
Internet par la réactivité et l’interactivité qu’il permet est devenu incontournable s’il est utilisé à bon escient. C’est un formidable outil pour maintenir une relation avec les publics. Ou développer une sentiment d’appartenance à une communauté. Beaucoup de musées, théâtres, festivals… l’ont compris et incitent leurs publics a s’exprimer. Mieux, les réseaux sociaux leurs permettent d’instaurer un dialogue avec leurs visiteurs, spectateurs, festivaliers…
Ces derniers peuvent en effet avoir un impact sur les autres publics. Internet peut accroître la prescription et le parrainage… Il est présent avant, pendant et après l’expérience culturelle.

Une personne satisfaite en parle à trois personnes, une personne insatisfaite en parle à dix

Le rôle d’un manager de communauté sera d’ encourager le bouche à oreille positif. Mais aussi de détecter, de répondre aux propos négatifs. Au delà de ce dialogue, il convient de traiter les réclamations : un nombre élevé de demandes doit entraîner une amélioration, une correction. Mesurer la satisfaction permet de répondre personnellement au public, mais aussi de mieux répondre à ces attentes (sans pour autant se dévoyer). Mais Internet reste un outil et non une finalité. En effet, son utilisation ne vaut si elle incluse dans une politique relationnelle globale.

Conclusion

Patience et longueur de temps
Font plus que force ni rage.

Cette citation de Jean De la Fontaine résume bien les choses : établir une relation avec ses publics prend du temps : de la satisfaction à la confiance, de la confiance à la fidélité, en passant par l’identification…
Assommer ses derniers d’une communication unilatérale et impersonnelle à ce que l’on considère comme « un large public » risque donc de ne pas produire l’effet escompté.
Ecouter son public et ses attentes, sans perdre de vue son projet culturel, savoir satisfaire les experts et les fidèles sans oublier les novices, Innover sans se trahir, rester en contact avec ses publics sans pour autant les harceler de messages… Bâtir sa relation avec ses publics, ne serait-ce finalement pas trouver des compromis intelligents ? Comme dans toute relation humaine ?

En pratique : mettre en place une relation durable avec ses publics, quelques conseils


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