Si l’on en croit l’historien Raymond Tournoux, le général de Gaulle aurait dit un jour que les Français étaient des veaux. Le propos n’avait rien de flatteur, mais on sait désormais que, pour nos princes actuels, ces mêmes Français sont surtout, au mieux des enfants fragiles qu’il convient de ménager, au pire de bons bougres incapables de porter un regard critique sur un film, ce qui n’est guère plus valorisant... Certes, le documentaire de François Margolin et Lemine Ould Salem, Salafistes, n’a pas été banni des écrans pour «apologie du terrorisme» comme un représentant du ministère de l’Intérieur en avait fait l’ubuesque demande, mais il a été interdit aux moins de 18 ans « avec avertissement », ce qui revient presque au même et constitue un dangereux précédent s'agissant précisément d'un documentaire. Fleur Pellerin, qui a pris cette décision en dépit des coupes et floutages que les auteurs avaient apportés entre temps, a beau soutenir qu’elle n’a pas « censuré » Salafistes car elle « ne [souhaitait] pas empêcher un auteur de produire un documentaire », elle sait fort bien quelles seront les conséquences : très peu de salles le projetteront, seules quelques chaînes payantes et cryptées le diffuseront peut-être dans plusieurs mois après minuit (France 3, chaîne productrice, ne le programmera pas...) ; on traitera cette œuvre importante et forte, réalisée au Mali, en Mauritanie, en Syrie, en Tunisie au péril de la vie de ses auteurs, comme le premier porno venu ! Tout semble étrangement orchestré, à tous les niveaux, pour réduire à une poignée de téméraires ou de curieux l’audience de ce long-métrage.
L’argument employé par ces détracteurs trahit une gêne évidente ; dans le film, le discours des salafistes s’affiche conceptualisé, structuré ; ces hommes, jeunes ou vieux, échappent au profil « d’enfants perdus » issus de milieux défavorisés cher à la culture de l’excuse des bien-pensants même si le portrait des jihadistes qui ont commis les attentats de janvier et de novembre 2015 invalide cette fable. Les mêmes avaient déjà été fort embarrassés par le beau roman de Boualem Sansal, 2084. Nous nous trouvons bien au cœur idéologique de ceux que Dominique Sopo, président de SOS Racisme, appelle dans son remarquable essai SOS Antiracisme (Denoël, 2005, 133 pages, 10 €) « les partisans de l’approche exotico-victimaire » que leur mauvaise conscience post-coloniale réduit à « utiliser les arguments mêmes des islamistes : critiquer ces dernier, c’est stigmatiser les musulmans » (p. 79). Ils préfèrent un déni de réalité à un discours de vérité, et tant pis si cette attitude est ressentie comme une trahison par les musulmans, imams et croyants, qui œuvrent, souvent avec peu de moyens, pour une interprétation non littérale des textes et une pratique religieuse apaisée. Tant pis encore si leur aveuglement fait le jeu de l’extrême-droite, tant que leur fond de commerce fondé sur la haine de soi, sans lequel ils retourneraient à leur insignifiance, continue de prospérer.