Avec "Lenny & the Kids" que j’ai eu la chance de voir en 2009 un peu par hasard dans une salle d’art et d’essai parisienne, les frères Josh et Benny Safdie avaient réussi à imposer un style à la fois proche du cinéma indépendant américain dont ils sont issus, et tout autant singulier sur le New York des marginaux et des laissés pour compte.
Ce cinéma là, assez proche de cette mouvance « mumblecore » dont on parle de plus en plus chez les cinéphiles ( ces films très fauchés financièrement qui surge pas mal sur l’improvisations d’acteurs souvent amateurs, et qui a également Alex Ross Perry comme cinéaste phare) se confirme avec le nouveau film des frangins Safdie, « Mad love in New York », qui sort en salles demain, grâce à Carlotta, un distributeur plus habitué à la restauration de films de patrimoine qu’aux films inédits mais qui de temps en temps conserve une politique de soutien à certains auteurs aux univers reconnaissables et dont la sauvegarde semble être logique et évident….
Contrairement à Lenny and the kids qui arrivait à concilier mélancolie et une certaine legereté dans le traitement de ses personnages et ses situations Mad love in New York adopte un parti pris plus sombre en axant son intrigue- forcément ténue- dans les rues de New York où trainent quelques marginaux occupés à survivre et à assouvir leurs besoins en drogue.
Parmi eux, Harley, une jeune SDF folle amoureuse d’un compagnon d’infortune à qui elle voue une passion malsaine et nocive est une héroine vraiment particulière : en effet, elle est jouée par une certaine Arielle Holmes qui joue son propre rôle et les propres situations qu’elle a vécues quelques années avant le tournage du film.
Josh Safdie a découvert par hasard Arielle Holmes pour les repérages d’un film et lorsqu’il s’est aperçu qu’elle était en fait une véritable sans domicile fixe, il lui a demandé d’écrire un roman où elle devait évoquer ses amours tumultueuses avec son petit ami Ilya et ses problèmes de drogue.
Et c’est cette histoire que les frères Safdie ont choisi de raconter dans une histoire filmée caméra à l’épaule, proche d’un cinéma de Cassavetes qu’on a tendance à mettre à toutes les sauces mais dont la référence semble pour le coup pleinement justifiée.
Pour les réalisateurs, seule Arielle pouvait être capable d’interpréter son rôle à l’écran et seul ou presque le prénom différent (dans le film elle s’appelle d’Harley) marque la distanciation d’avec son histoire intime.
Cette fille, à la fois terriblement belle et complètement paumée, est un de ces personnages marquants comme le cinéma américain indépendant nous en offre de temps à autre...
Témoignage criant par son réalisme et la cruauté de certaines de ses scènes, les frères Safdie parviennent à poser un regard baigné de tendresse sur une communauté tant marginalisée dans les petits et grands écrans.
On peut penser parfois en voyant "Mad Love in New York" à Panique à Needle Park, de Jerry Schatzberg où Al Pacino junkie new yorkais trainait sa peine, ou bien encore évidemment à » Sans toit ni loi » d'Agnès Varda par la description pleine d'hyperéalisme d’une très jeune SDF, mais la tendresse des cinéastes et ce souci de faire rejouer à son actrice principale les situations qu’elle a véritablement vécues placent cette œuvre à la fois implacable et fragile dans des contrées autres…
Incontestablement, une de ces belles curiosités de début 2016 qu’il ne faudrait pas négliger pour tous les avides de cinéma différent…