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Que se passe-t-il en Pologne ?

Publié le 03 février 2016 par Vindex @BloggActualite
Que se passe-t-il en Pologne ?
Depuis quelques semaines, malgré une faible médiatisation, la situation en Pologne est tendue. Et les titres feraient presque penser à un retour au 6 février 1934 : "dérive autoritaire" par ci, "fascisme" par là, il ne manquerait plus que les manifestations contre le pouvoir polonais se réclament de l'antifascisme et forment un Front Populaire...
En question : les dernières décisions du gouvernement Polonais au sujet des médias, qui menacent apparemment la Liberté d'expression et de la Presse dans ce pays. Quelle est l'ampleur exacte du phénomène et que peut-il se passer ? 

Des décisions contestées


Ayant repris le pouvoir en 2015, le PiS est un parti politique considéré comme conservateur et eurosceptique, reflétant particulièrement la continuité de la poussée critique à l'égard de l'Union Européenne. Aile "droitière" du mouvement Solidarnosc, il s'est opposé à la Plateforme Civique (PO), l'autre parti issu de la contestation du régime communiste, et a même exercé le pouvoir pendant deux ans entre 2005 et 2007.
La polémique porte sur deux grandes décisions pourtant annoncées par le PiS lors de la campagne qui l'a mené au pouvoir : le remplacement de 5 juges de la cours suprême et le Projet de loi sur les Médias publics.
La première de ces décisions inquiète logiquement puisqu'elle indique un contrôle possible du gouvernement sur la cours suprême et la seconde indigne au vu d'un accroissement du contrôle des médias par le pouvoir exécutif. En effet, le projet de loi prévoit la nomination des nouveaux patrons des médias publics par le ministre du Trésor alors que ceux-ci l'étaient autrefois suite à un concours.
Pour contester les nouvelles orientations prises par le nouveau gouvernement, 50 000 manifestants polonais ont défilé le 12 décembre dernier et il semblerait que la cote de popularité des nouveaux élus baisse déjà. La perception médiatique de tous ces faits est bien sûr négative : la Pologne se "Poutiniserait" et l'Etat de Droit voire la Démocratie serait en recul sous l'influence d'un parti réactionnaire voire fasciste. En ce sens, Le Petit Journal avait d'ailleurs montré à quel point les journalistes concernés étaient inquiets. Mais ne peut-on pas peindre un tableau plus nuancé de ces événements ?

Une situation dramatisée


Bien que le pouvoir actuel n'y aille pas de main morte, il faut faire remarquer plusieurs éléments pouvant nuancer ces faits. Tout d'abord, il semble que la nomination des 5 juges réponde à une nomination que le parti précédemment au pouvoir avait déjà faite alors que plusieurs mandats de ces juges n'étaient pas arrivés à leur terme (pour bloquer toute réforme future disent certains). Le nouveau gouvernement réparerait donc (maladroitement) ce qu'il voit comme une injustice.
La justification de l'action sur les médias est plus difficile. Le gouvernement pense sincèrement et sans tabou (et c'est ce qui est le plus étonnant) que les médias appartenant à l'Etat ne doivent pas critiquer l'action du pouvoir exécutif qui n'est autre que leur... patron. Étrange conception de la presse et de son indépendance me direz-vous. Mais même si la liberté de la presse en prendra un coup certain, il ne semble pas que l'objectif soit de museler totalement celle-ci, les médias privés n'étant pas concernés (touchons du bois).
Par ailleurs, même si l'ampleur n'est pas la même, nous nous devons de balayer devant notre porte. En 2009, le Président Nicolas Sarkozy avait directement nommé le président de Radio France (Jean-Luc Hees), ayant entraîné par la suite le "renvoi" controversés de chroniqueurs dérangeants comme Christophe Guillon et Didier Porte. Depuis, le CSA a repris cette prérogative de nommer le président des entreprises audiovisuelles publiques en France, mais il ne faut pas oublier que celui-ci est composé de personnes nommées par le Président de la République, de l'Assemblée Nationale et du Sénat.
En résumé, il ne s'agirait pas tant pour le PiS d'attaquer le système démocratique que de prendre à contre-pied la politique jusqu'à présent menée, très libérale (en particulier sur les moeurs, mais aussi sur l'économie) et européiste.
En réalité, ce qui a mis en avant cette affaire est plus l'intervention de l'Union Européenne que les réformes en elles-mêmes, si controversées soient-elles. En effet, l'Union Européenne a souhaité réagir le plus vite possible face à ce quelle considère comme un recul de l'Etat de Droit en Pologne. Dès le mois de décembre, l'Union Européenne a annoncé un recours et discute avec l'Etat Polonais, annonçant même un retrait du droit de vote polonais au Conseil de l'Europe. Peu réaliste, cette velléité répressive renseigne plus sur les leçons que l'Union Européenne a pu tiré d'affaires récentes de la même nature. En effet, l'Espagne en 2010 et surtout la Hongrie de Viktor Orban avaient pris des décisions de ce type, sans que l'Union Européenne ne puissance réagir, faute de procédure. Cette fois-ci, bien que la menace sur l'Etat de Droit soit un peu exagérée, l'UE ne souhaite pas laisser passer ce qu'elle considère comme une atteinte à des principes devant être respectés par tous les Etats membres.
Au-delà des sanctions qui  seront probablement mineures, ces actualités démontrent une fois encore les vents contraires auxquels est soumis le processus de construction européenne, et du fossé qui existe entre certains de ses membres. L'Europe de l'Ouest et du Nord est très convertie à l'Etat de Droit, ayant historiquement participé à la formation de ce concept. Cependant, l'Europe de l'Est, nouvelle venue suite à la décomposition du bloc communiste, ne partage pas complètement cette vision libérale de la démocratie. Encore très revendicatrice de son identité et de sa souveraineté retrouvée, elle adopte des positions politiques et juridiques plus fermes et conservatrices, voire autoritaires aux yeux des occidentaux, correspondant à des mentalités moins progressistes. Profitant allègrement des aides européennes (notamment du FEDER), ces Etats n'entretiennent toutefois pas autant de relation avec l'UE que nous, n'ayant pas participé au processus de construction depuis le début. Ces dissensions ne se traduisent pas que par des aspects juridiques et constitutionnels. En effet, ces pays sont aussi ceux qui, au sujet des migrants, refusent les décisions prises par l'UE (surtout par l'Allemagne) en terme d'accueil de ces populations, pour des raisons identitaires : leur conception de la nation est loin d'être celle universaliste des pays d'Europe de l'Ouest. Les procédures ne vont pas uniquement dans le sens UE-Pologne, mais sont aussi intentées dans le sens inverse, comme le montre celle menée par le groupe de Visegrad (Hongrie, Pologne, République Tchèque, Slovaquie) contre la Commission Européenne, afin de contester les quotas de migrants. C'est par ailleurs cette dynamique qui incite aussi à un retour des frontières dans d'autres Etats (comme l'Autriche) pour maîtriser ces flux. 
En conclusion, malgré l'ampleur des décisions faisant reculer les libertés d'une certaine partie du paysage médiatique polonais, il semble tout à fait rocambolesque d'attribuer une quelconque identité fasciste voire "national-socialiste" comme le fait Guy Verhofstadt. Ces accusations à l'emporte-pièce dignes d'adolescents boutonneux embrigadés chez les antifas donnent plus d'information sur la panique de certains européistes que sur la réelle tournure que prennent ces événements.
Cette actualité a surtout une signification plus profonde : en réaction au constructivisme et au fédéralisme latents de l'UE s'affirment de plus en plus des tendances souverainistes et eurosceptiques, qui ne peuvent plus être ignorées ou simplement catégorisées comme populistes (ou pire encore). La possibilité d'un "Brexit" (sortie de l'UE par le Royaume-Uni) associée à d'autres convulsions encore possibles pour la Grèce et l'Euro n'arrangent en rien la stabilité politique et économique de l'Union Européenne qui voit aussi grandir la dimension politique de la contestation dont elle fait l'objet.
Voici venue l'occasion, sans doute, de réfléchir à une orientation plus raisonnable et réaliste de la construction européenne, pour plus de souplesse et d'efficacité, mais aussi pour mieux gérer son caractère disparate. La géométrie variable et la résilience, voilà l'avenir.
Vin DEX
Sources
Sputnik
Libération
Libération
Arte.tv
Institut des Libertés : Charles Gave
Europe 1
Le JDD
Le Monde
TV5 Monde
Iris
Taurillon
La Tribune

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