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La nouvelle de la fermeture du Ciné Ariston à Esch m’a profondément attristé. C’est une salle dans laquelle j’ai vu tellement de films depuis les années 70 – Shining, Tess, Mon oncle d’Amérique, Life of Brian, Le mystère d’Oberwald … - et qui bien sûr fait ressurgir en moi les souvenirs de mon adolescence, tant de gens et de choses qui à cette époque-là faisaient partie de mon existence.Je voudrais narrer ici deux moments particuliers liés à l’Ariston.Au début des années 1980, c’est à l’Ariston que se sont déroulées plusieurs séances du ciné-club des jeunes qui, si je me rappelle bien, avait été créé par un groupe de personnes issues à la fois du Lycée de Garçons et du Lycée Hubert Clement, ce dernier étant celui que je fréquentais. Les projections avaient lieu une fois par mois, et dans les lycées on nous distribuait bien à l’avance des feuilles imprimées pour présenter le film qui était au programme. On a ainsi vu défiler, entre autres, « Duel », « Breaking away », « Monty Python and the Holy Graal » « 2001, Odyssée de l’espace », « Yol », « Vol au-dessus d’un nid de coucou », « Picnic at Hanging Rock »… : presque toujours, de très bons films, et presque toujours, la salle était remplie à craquer, à 95 % par des lycéens, l’ambiance était extraordinaire, on parlait avec effusion de ce qu’on allait voir ou de ce qu’on avait vu. Voyez-vous, en ce temps-là, il n’y a avait pas de téléphone portable, pas de connexion Internet, pas de 400 chaînes à la télé, pas de Netflix, le cinéma était objet de révérence maximale, et tout le monde était jeune.C’est dans le cadre de ce ciné-club que j’ai assisté à l’une des séances les plus mémorables de ma vie de cinéphile : celle du fameux film de John Waters « Polyester », qui utilisait le procédé hyper-sensoriel de l’odoroma : à l’entrée de la salle, on a tous reçu une petite plaquette pourvue de petites pastilles numérotées, je pense qu’il y avait dix numéros. Ensuite, pendant le film, on devait gratter et sniffer la pastille dont le numéro apparaissait à intervalles réguliers sur l’écran. Ça commençait bien, avec une odeur de roses, mais ensuite on rentrait dans un véritable festival du haut-le-cœur, on a eu droit à des senteurs de slip sale, de nourriture pourrie, de basket usagé, j’en passe et des pires ! Vous imaginez la rigolade et les fragrances collectives dans la salle…Autre souvenir, plus anecdotique, mais assez marrant à raconter. Un certain samedi après-midi, quelque part en l’an 1980, je me suis pointé à l’Ariston, pour voir le film « Ordinary people » de Robert Redford, j’avais vu dans le journal qu’il y était programmé. Ben voilà, j’arrive devant le cinéma, je repère l’affiche du film à l’entrée, je passe chez la dame à la caisse pour acheter le ticket, elle me regarde d’un air bizarre, il manque 20 minutes, j’attends dehors, il fait beau. Je ne manque pas cependant de m’étonner intérieurement du « public » attiré par un film aussi sérieux : autour de moi, je remarque deux ou trois hommes âgés qui ont l’air un peu crades. Deux minutes après, un copain de lycée passe en vélo, il me voit et me demande « qu’est-ce que tu fais là ? » « Bah, je vais au cinéma » « Ah bon, et tu t’intéresses à des films comme ça ? » « Mais oui, voyons, j’ai vu la critique, et ça m’a l’air très bien… » « Ok, allez, salut, et bon film » Sourire complice…Bon, c'est l'heure, je rentre dans la salle, je m'assois, la projection commence d'un coup sec, assez rapidement surgissent à l'écran des scènes, disons, concupiscentes, je me dis « c’est quand même osé, montrer des choses comme ça avant un film plutôt grand public... » Oui, à l’époque, j’étais plutôt naïf et bête (je le suis toujours un peu d’ailleurs). Je ne me rends pas compte, Je suis impatient que la bande-annonce finisse, mais ça se prolonge au-delà de la durée habituelle. Ok, passé cinq minutes, je réalise qu’il y a un problème. Je décide de me lever, je quitte la salle, j'entends réclamer auprès de la caissière mais elle n’est plus à sa place, je jette un coup d’œil plus attentif au programme à l'entrée, mon visage devient soudainement tout écarlate : « Ordinary People » est programmé pour 20h, là je viens de rentrer pour un film porno. La honte ! Vite, je prends mes jambes à mon cou, en essayant de me pas me faire attraper par la police ! Le lundi d’après, en classe, le camarade qui m’a vu, me demande « alors, il était bien, ton film ? » Je me confonds en explications pour lui dire ma méprise. « Mais oui, mais oui, cause toujours… »
Bon, interrompons ici le flux de la mémoire pour revenir au présent. Est-ce qu’il n’y a vraiment plus rien à faire ? N’est-il réellement pas possible de sauver le Ciné Ariston ? Je lance un appel à tous les décideurs publics.Un cinéma de quartier, c’est quand même une si grande richesse ! N’est-il pas possible pour la municipalité de reprendre la structure pour en faire un lieu d'échange, de rencontre, d’éducation ? La Maison des jeunes est à deux pas, il y aurait sûrement des dynamiques à élaborer dans ce cens-là ! Créer une association sbl, un collectif de passionnés, un ciné-club, établir une programmation polymorphe et multi-public, visant les jeunes, les anciens, les amoureux du 7e Art, les geeks et les ladies, les Portugais, les Italiens et les Luxembourgeois, les alternatifs, et les mainstream, les poètes et les rockers, les enseignants et les amateurs de Tango, les musclés et les vegans … Si la commune prenait en charge les frais liés à la gestion de la salle, je suis certain qu’il y aurait quelque chose à faire … pas vous ? Comment faire pour que ce cinéma puisse continuer à faire rêver et à nourrir de nouvelles expériences ?Des idées ?