Lors d’un voyage à l’île d’Oléron, j’avais trouvé une bouquinerie adorable où mes parents et moi avions fait une razzia. Par pur hasard, je suis tombée sur ces livres plusieurs mois après et l’un d’eux m’a fait de l’œil : Le rapport de Brodeck de Philippe Claudel.
Ce roman ne dit pas où il se passe, il n’évoque pas les événements dramatiques qui s’y sont passés. Mais n’importe quel lecteur reconnaîtra ici les affres de la Seconde Guerre mondiale : l’Occupation allemande, les camps de concentration, et l’après. Brodeck est revenu chez lui après deux ans d’horreur. La vie essaie de reprendre son cours dans ce petit village, jusqu’au jour où un homme vient venir habiter dans l’auberge : il est étranger et il représente tout ce que les habitants aimeraient oublier. L’Anderer, c’est comme ça qu’on va l’appeler. Mais un soir, c’en est trop, c’est l’Ereigniës, l’événement. Brodeck, lui, n’était pas là : il n’a rien vu, il n’a rien fait. Mais quand il arrive à l’auberge, il doit se rendre à l’évidence : l’Anderer n’existe plus. Et c’est à lui Brodeck, qu’on demande d’écrire le rapport qui expliquera tout. Car les autres devront comprendre, ils devront comprendre que eux, les habitants du village, n’avaient pas le choix. C’est ainsi que, contraint, Brodeck a du revenir sur les événements. Ce sera aussi pour lui l’occasion d’évoquer ce qu’il a vécu…
Moi, je ne demandais pas grand-chose. J’aurais aimé ne jamais quitter le village. Les montagnes, les bois, nos rivières, tout cela m’aurait suffi. J’aurais aimé être tenu loin de la rumeur du monde, mais autour de moi bien des peuples se sont entretués. Bien des pays sont morts et ne sont plus que des noms dans les livres d’Histoire. Certains en ont dévoré d’autres, les ont éventrés, violés, souillés. Et ce qui est juste n’a pas toujours triomphé de ce qui est sale. Pourquoi ai-je dû, comme des milliers d’autres hommes, porter une croix que je n’avais pas choisie, endurer un calvaire qui n’était pas fait pour mes épaules et qui ne me concernait pas ? Qui a donc décidé de venir fouiller mon obscure existence, de déterrer ma maigre tranquillité, mon anonymat gris, pour me lancer comme une boule folle et minuscule dans un immense jeu de quilles.
Il faut avouer que je n’étais pas convaincue par les premières pages. Je me disais que les choses allaient bien lentement et que j’allais m’ennuyer pendant 375 pages. Et bien, heureusement que ça ne m’a pas arrêtée ! Ce roman est une petite pépite d’émotion. Brodeck nous parle directement et on se sent très proche de ce personnage : il se livre à nous, nous raconte son histoire, les épreuves qu’il a du traverser et ce qu’il est en train de vivre en devenant l’auteur de ce fameux rapport. C’est l’occasion de parler de la destinée d’un homme, mais aussi de celle de tous les hommes en temps de guerre : l’importance des choix que l’on fait, la façon dont les événements vécus peuvent nous changer en profondeur.
A chaque chapitre, on peut avoir un aperçu de la bêtise et de la rage humaines. Il y a du sang et de la haine entre ces pages, mais en réalité cela se résume à de l’incompréhension et à des âmes meurtries. Je vous rassure, ce livre n’est pas déprimant : de l’espoir perce à travers ces lignes. Il n’y a pas que la guerre, il y a aussi la beauté de la nature et l’amour qui tentent de survivre dans ce monde. C’est une lecture prenante, car on refuse de quitter Brodeck, et surtout on veut savoir le fin mot de l’histoire même si on le redoute autant que notre personnage principal.
Ce livre m’a fait vibrer : la justesse de l’écriture, cet équilibre entre des faits horribles et une sensibilité douce est parfaitement maintenu par l’auteur tout au long du livre. Les pages se tournent sans qu’on s’en rende compte. Les allers et retours entre souvenirs et faits présents sont habilement mis en place : l’un complète l’autre.
Philippe Claudel montre ici qu’il a un talent certain : dans l’art d’écrire et d’amener son lecteur là où il veut, c’est vrai, mais il a surtout du génie pour créer des histoires et des personnages forts qui laissent une empreinte dans l’imaginaire du lecteur, même une fois le livre refermé.
Philippe Claudel, Le rapport de Brodeck, Le Livre de Poche, 7€10.