Eté 1942 : sitôt revenu de l’enfer de Katyn, Bernie Gunther est à nouveau sollicité par Joseph Goebbels pour une mission secrète dans la Yougoslavie en plein chaos … et nous voici embarqués avec lui dans un épisode presqu’aussi dramatique, à la recherche du père d’une ravissante starlette de la UFA dont le ministre de la propagande de Hitler est tombé amoureux. Bien évidemment, et malgré des risques mortels, Bernard Gunther va aussi se brûler au feu de cette jeune femme aux yeux bleus comme ceux des chiens huskies … Dalia Dresner, la « Garbo » allemande.
Ceux qui ont, comme moi, déjà lu toutes ses aventures, savons que notre héros devenu cynique à force d’assister aux horreurs nazies en réchappera encore cette fois, puisque le roman débute en 1956, avec un ex-commissaire âgé de presque 60 ans (il est né un peu avant la fin de l’autre siècle), qui se demande comment il va passer l’hiver puisque l’hôtel miteux de La Ciotat où il a échoué comme concierge ferme pour la saison. Vrai, les fastes de l’hôtel Adlon sont bien oubliés. Mais il se remémore ses aventures en Suisse, puis à Banja Luka, au milieu des effrayantes luttes des Croates oustachis qui étripent sans remords les Serbes, des partisans communistes et des soldats perdus de la Waffen SS.
L’art de Philip Kerr est de mettre en scène une histoire à nous faire dresser les cheveux sur la tête, mais solidement étayée par une recherche historique encyclopédique. Ainsi rencontrons-nous des personnages réels dont l’auteur respecte scrupuleusement la biographie : le général Walter Schellenberg, expert en montages hyper-compliqués destinés à enfumer l’ennemi, Roger Masson, patron des services secrets helvétiques, Paul Meyer-Schwertenbach, auteur de romans policiers, Eggen, Kurt Waldheim que nous rencontrons furtivement, et aussi le grand Mufti de Jérusalem Hadj Amin Al-Husseini et ses sbires de la Handschar .… Et, toujours, la corruption au plus haut niveau, même dans un pays qui se proclame neutre mais ne se prive pas de continuer à commercer avec les belligérants. Avec les luttes sans merci entre groupes ethniques vivant dans les montagnes yougoslaves, c’est l’élément qui nous raccroche à la toujours sombre actualité.
Une histoire … non, plusieurs histoires entremêlées qui conduisent Bernie une fois encore à risquer sa peau et à résoudre plusieurs énigmes policières à la seule force de ses facultés déductives, tout comme de son calibre .38 !
Comme toujours, la réflexion de l’auteur tourne autour de l’absurdité de la guerre. Mais la verve de l’auteur tarde un peu, ici, à percer. Il faudra attendre au moins le quart du roman avant d’entrer dans le vif – et /ou le mort – du sujet. Le personnage central est, pour cette fois, une femme, et quelle femme : aussi belle que lascive, primesautière, manipulatrice, sensuelle, sans scrupules, résolue, sans pitié. Tout pour plaire à un homme revenu de tout, et même plusieurs fois, de l’au-delà.
Un dernier conseil, pour mieux comprendre l’itinéraire spirituel et politique d’un social-démocrate emporté malgré lui dans la tourmente national-socialiste sans jamais y adhérer : lire les épisodes dans l’ordre non pas dans leur ordre de parution, mais selon le bon vieil ordre chronologique. En attendant que l’auteur, une nouvelle fois, ne remette le couvert !
La dame de Zagreb, polar historique de Philip Kerr, traduit de l’anglais par Philippe Bonnet, aux éditions du Masque – 444 p. 22,90€.