On respire un peu mieux. Le ciel se dégage. Après les egos bafoués, les autres surdimensionnés, les conseils et les reproches, les « j’aurais mis », « ils auraient dû », les réactions outrées, surjouées, souvent infantiles comme on s’oppose pour se poser face à la figure du père, là en l’occurrence une sorte de bible rouge qui reçoit soudainement une fois par an les humeurs et les rancœurs de ceux qui n’en sont pas. Le Michelin comme défouloir ? J’aime à penser, devant tant de supputations avant la sortie et tant de réactions après, que les autres guides doivent rêver de provoquer un jour autant d’intérêt.
Les classiques d’abord, en réaction de réactionnaires qui se parent de modernisme. Michelin est à l’évidence un guide du passé qui a beaucoup de mal à saisir la modernité ébouriffante qui règne dans les cuisines de la France de demain. Passéiste. Le mot est lâché, et dans tous les domaines c’est une condamnation sans appel de la part de petits ayatollahs de la modernité galopante. Car le progrès est forcément bon, la création ne peut être que positive et réussie, les chefs sont là pour étonner, surprendre un client toujours en demande d’être bousculé. Ah bon ?
Le Michelin défend la cuisine d’un autre âge, bloquée, immobile, d’un passé que l’on ne veut plus voir. Rance le Michelin, presque souverainiste sinon nationaliste. Dangereux, donc. Le Michelin, le pauvre, aime le gras, le sucre, les sauces, le gluten, le champagne dosé, se moque des allergies et des interdits, des chefs qui s’expriment et qui improvisent chaque jour sans filets. Il aime les cartes dans les restaurants, quelle horreur !
L’an passé, les critiques fusées pour avoir rétrogradé Vigato et Martinez au Louis XIII. Il faisait ainsi la part belle aux jeunes chefs en méprisant les gardiens du Temple. Trop moderne, hurlaient certains. Pour d’autres, il est trop lent, ou trop rapide. Mais qu’attend t-il, que fait-il, mais pourquoi, comment est-ce possible qu’une chose pareille existe encore en France, ce pays magnifique empli de jeunes chefs créatifs que seuls quelques journalistes à la pointe des saveurs actuelles savent reconnaître. Insupportable ! Alors que nous avons de si bons guides par ailleurs…
Cette année de nouvelles questions teintées de reproches ont fait leur apparition. Le Michelin semble ignorer les chefs japonais qui nous font l’honneur de faire de la cuisine française bien que quatre d’entre eux ont été étoilés. Japonophobe le guide. Mais alors, et les femmes ? Y a en t-il assez ? Le Michelin serait-il misogyne ? Et les chefs homosexuels ? Sont-ils assez représentés dans les étoilés ? Le Michelin serait-il homophobe ? Et les francs-maçons ? Complices ? Et au fond, le Michelin ne fait-il pas le jeu du Front National ? Il faut se poser la question. Organiser un sursaut républicain pour ouvrir au monde hors sol ce guide d’un autre âge. Qu’est-ce qu’on se marre…En fait, il semble que le millésime Michelin 2016 soit assez paisible, popote même, sans grand bouleversement ni surprise ahurissante. Fin des trois étoiles pour le Meurice et Patrick Bertron chez Loiseau. Impensable ? Incroyable ? Non, bien sûr. On peut même penser que Michelin a été très gentil avec le nom Loiseau. Du travail aussi en perspective pour le nouveau chef du Meurice.
Peu de manifestations dans les rues pour la perte de la deuxième étoile d’Akrame, ce qui montre à quel point la décision de les lui donner fut étonnante sinon aberrante. Même punition pour Gordon Ramsay… dans l’indifférence générale, ce qui n’est pas bon signe.
On se réjouit sincèrement pour les dizaines de nouveaux étoilés que l’on ne connait pas mais dont on devine la joie n’en déplaise aux esprits chagrins. On se réjouit des deux étoiles de Julien Gatillon à Megève au Mont d’Arbois qui coiffe sur le poteau son copain Thibault Sombardier chez Antoine (next year ?). Pour le grand Christophe Moret, bien sûr, à l’Abeille, pour Piège dans son Grand Restaurant qui remonte une nouvelle fois à l’assaut de la troisième étoile.
Le fils Pacaud, élevé dans les étoiles, devient un prénom avec une étoile méritée pour l’Hexagone et deux étoiles d’entrée pour Histoires (rapide, non ?), comme Robuchon et son chef Tomonori Danzaki à la précision diabolique, à Bordeaux. En parlant de Bordeaux, regrettons amèrement le maintien à une seule étoile du grand Nicolas Magie, chef du Saint-James à Bouliac, créateur passionné et talentueux. On ne s’ennuie jamais à sa table, et c’est si rare.
Justement des regrets…. Encore et toujours Alain Pégouret chez Laurent qui ne peut plus, sincèrement et objectivement, être maintenu à une étoile. Le travail de ce grand chef, ses plats qui vivent et qui pétillent d’invention et de fraîcheur, le lieu, le service, la cave, tout… ils ne peuvent plus en rester là. Puni depuis des années, on ne comprend plus les raisons, les codes, le pourquoi du comment. Même question pour Kei. Pourquoi ? Sa cuisine a largement atteint une perfection éblouissante. Alors ?
Bravo à la Table du 11 à Versailles, jeune et bon chef, à Saturne (enfin), et au discret mais efficace Romain Meder au Plaza Athénée qui porte haut le concept d’Alain Ducasse.
Enfin, un clin d’œil amical et respectueux pour l’unique Christian Le Squer qui retrouve ses trois étoiles et qui fut enfin le pari gagnant du Cinq au Four Seasons. Une unanimité qui fait chaud au cœur tant l’homme et le chef se confondent dans la joie de cuisiner, de faire dans l’excellence, dans la sympathie et dans l’exigence. Un cocktail étonnant et détonnant pour un de nos chefs français les plus adorables.
Ah, les nouveautés : une assiette pour tous restaurants sélectionnés dans le guide, hors étoile et hors Bib Gourmand ; les restaurants remis avant les hôtels et dans l’ordre des étoiles et non plus du décor ; les adresses et autres infos passent sous le commentaire des inspecteurs ; deux nouveaux mots-clés, l’un orange pour le style de cuisine (moderne, régionale, etc.) et l’autre marron pour l’ambiance (mode, bistrot, etc.) ; et les coups de cœur des inspecteurs mis en exergue de 42 grandes villes. Un guide qui s’humanise, en quelque sorte.
Prix : 24,90 €
www.restaurant.michelin.fr