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Cinéma : Un vrai faussaire, interview du réalisateur Jean-Luc Léon

Publié le 09 février 2016 par Framboise32

un vrai faussaire

Un vrai faussaire est un film documentaire sur le faussaire Guy Ribes. Le film est réalisé par Jean-Luc Léon. Un vrai faussaire sort en salles le 2 mars 2016. Il est distribué par Pretty Pictures. La bande annonce et les infos sont  ici

J’ai eu la chance de voir ce long métrage aujourd’hui. Il serait dommage de rater ce documentaire !!!!

Interview de Jean Luc Léon

Pourquoi avoir fait un film sur Guy Ribes ?

Des faussaires qui acceptent de se montrer à visage découvert, il n’y en a pas beaucoup. S’ils n’ont pas été pris par la justice, ils restent dans l’anonymat.

Guy Ribes a été jugé en 2010, il a donc accepté le principe du film. Après trente ans dans la clandestinité, il était content d’en sortir.

Pourquoi un film sur un faussaire ?

L’idée m’est venue du film d’Orson Welles, F For Fake (Vérités et mensonges), que j’ai vu à sa sortie en 1973. Comme son nom l’indique c’est un film qui joue sur la frontière ténue entre réalité et mensonge qui évoque des faussaires, en peinture mais aussi en littérature. A la fin du film, une question vient immédiatement à l’esprit : « Et si un faux avait plus ou autant de valeur qu’un vrai ? ». Pas financièrement bien sûr… Le film de Welles sème le doute sur cette question, et personnellement je préfère les films qui sèment le doute plutôt que ceux qui assènent des vérités.

En 1994, j’ai réalisé un documentaire sur le marché de l’art (Le Marchand l’Artiste et le Collectionneur) et j’ai tenté, sans succès, de trouver un faussaire qui se laisse filmer. Il a fallu le procès de Guy Ribes en 2010 pour que cela devienne possible.

Diriez-vous qu’il est plus intéressant d’écouter un faussaire comme Guy Ribes et de le regarder travailler plutôt que de faire la même chose avec de « vrais » peintres ?

Certains peintres aiment avant tout parler d’eux-mêmes et de leur travail mais ne s’intéressent pas toujours au travail des autres. Guy Ribes, lui, est passionné par le style de chaque peintre. C’est un véritable amoureux de l’Art et des artistes. Il a travaillé pour retrouver leur technique, leurs gestes. Reste le génie. Guy Ribes n’ « est » pas Picasso, Chagall ou Matisse mais il n’en est pas loin. Lui aussi est un artiste, son talent fait qu’on se laisse abuser. Et c’est aussi le danger : le très bon faussaire peut être aussi admirable que subversif parce qu’il fait voler en éclat la confiance. Et le marché de l’art n’aime pas ça ! Mais il me semble que ceux qui sèment le doute sont très intéressants car ils peuvent remettre en question certains préjugés.

Au-delà de Guy Ribes, au-delà du faussaire en tableaux, votre film est un questionnement sur la vérité…

Nous savons qu’il y a dans certains « grands » musées des tableaux qui ne sont pas l’œuvre de tel ou tel peintre célèbre. Et alors ? S’ils fabriquent des émotions… Je ne suis pas fétichiste, ce n’est pas parce que le peintre n’a pas touché à la toile, qu’il n’y a pas mis son empreinte, que l’oeuvre en a moins de valeur émotionnelle ou esthétique.

C’est comme pour les magiciens : on croit à leurs tours et on ne connaît pas la vérité derrière l’illusion. Nous avons besoin d’histoires pour vivre, fussent-elles inventées. Sauf que la législation et le marché de l’art ne tolèrent pas ça. Mais il y a eu d’autres époques, d’autres pays… Quand au XVIème siècle un élève imitait son maître et qu’il arrivait à le berner, on le félicitait. Aujourd’hui ce n’est plus pareil.

Certains disent de Guy Ribes : « Il a copié ». Non, il n’a pas copié, il a interprété. Il a regardé 30, 40 tableaux ou plus d’un peintre, a lu tous les livres écrits sur lui et après seulement il s’est mis à peindre à la manière de…Et cela n’a pas été facile, il en raté, il a recommencé, déchiré, refait jusqu’à ce qu’un jour quelqu’un passe chez lui et lui dise : « Tiens ! T’as un Picasso ? Ça m’intéresse »

Avec son travail il remet en question nos présupposés sur l’art, sur le fait que chaque œuvre est unique, que toutes les œuvres des peintres sont forcément répertoriées. Lui en invente qui n’existent pas…

L’art aujourd’hui n’est pas tellement aux mains des artistes : il est dominé par des marchands, on parle plus d’argent que d’art, de la cote des artistes, que l’on fait et défait, l’art est devenue une monnaie.

Guy Ribes est intéressant parce qu’il ramène notre attention au niveau artistique même s’Il ne le fait pas gratuitement. Il travaille à la commande et mieux il est payé plus il s’applique.

À propos d’argent, il n’en a pas été privé…

Il semble qu’à une époque Guy Ribes ait gagné beaucoup d’argent qu’il a dépensé dans les casinos, les vêtements de luxe, les voyages lointains… à un moment il avait même une Rolls avec chauffeur… Il savait que s’il manquait d’argent, il lui suffisait de faire un faux et de le vendre. Aujourd’hui, il vit avec très peu.

L’intérêt qu’il suscite, maintenant qu’il a été démasqué, peut, peut-être, lui profiter. Sa notoriété peut l’aider à vendre sa propre peinture. Pour un homme qui a travaillé trente ans dans la clandestinité, être reconnu est important. Il ne faut pas oublier le milieu d’où il vient… pas très généreux, pas très altruiste… Quand il peint, il est heureux.

Il a un petit côté gangster…

Il vient de là ! Sa famille était apparentée au Gang des Lyonnais. Son père a été jugé aux Assises pour meurtre. Guy Ribes a traîné lui aussi avec les Lyonnais. Et ses parents tenaient une maison close… Naître dans un bordel n’est pas anodin, ça crée un rapport aux femmes très particulier. Son enfance a été rude.

Par moments, on sent quelqu’un d’assez amer…

Amer par moments seulement. Il m’a souvent bien fait rire, c’est plutôt un bon vivant mais de tous les millions qu’il a pu gagner il ne lui reste rien !

Il estime que s’il avait été élevé ailleurs et avait reçu une éducation un peu moins brute, il aurait pu aller dans une école d’art, prendre des cours de peinture, devenir un vrai peintre. Le métier il l’a appris sur le tas, en imitant les grands Maîtres, et il a eu du mal à trouver son propre style parce que ce style, justement, est fait de ceux des autres.

Au début des années 2000, il avait exposé son travail personnel. Dans la galerie il y avait des tableaux relevant de six ou sept styles différents, les visiteurs étaient perdus et se demandaient : qui est le vrai Ribes ? Aujourd’hui c’est différent : il a 65 ans, il est enfin en train de trouver sa propre griffe.

Il met réellement trois quarts d’heure pour peindre un Chagall ?

Pour le dessiner oui, pour le peindre non.

Un jour à 9h30 il a commencé à peindre. Je le filmais et j’étais assez préoccupé par la caméra, je ne regardais pas où il en était. A 13h00, il a posé trois tableaux sur un meuble : une encre de Chine à la plume, façon Picasso des années 1910-1915, une gouache à la manière de Fernand Léger et une aquarelle dans le style de Miro et a dit « Si on allait déjeuner ?» : il avait fini. Et là j’ai compris que j’avais un vrai monstre talentueux en face de moi !

A-t-on une idée du nombre de faux qu’il a pu peindre ?

Pas exactement. La fourchette doit être entre 1000 et 5000.

On comprend bien avec le film qu’il y a deux types de faussaires, les copistes qui reproduisent des tableaux à l’identique et les gens comme Ribes qui peignent « à la manière de ». Quelle est vraiment la différence entre les deux ?

Un copiste a le tableau devant lui et doit le recopier à l’identique, en respectant certaines proportions fixées par la loi, il y a des copistes en permanence au Musée du Louvre mais ils doivent modifier de 10% ou plus les dimensions d’une oeuvre pour ne pas tomber sous le coup de la loi et ils n’imitent pas la signature de l’artiste.

Ribes, lui, regarde deux, trois tableaux et en fait une sorte de remix. Il dit : « Picasso faisait 30 tableaux par jour dont certains qu’il déchirait, moi j’en fais un autre, entre le 22 et le 23ème …» Et puis surtout : pas parfaits. Là où il s’est trompé parfois, c’est quand il a peint certains tableaux trop parfaits, trop aboutis, trop lisses. Il faut arriver, dit-il, à comprendre les erreurs du peintre d’origine et faire les mêmes.

Fondamentalement, qu’est-ce qui différencie un vrai Picasso d’un faux peint par Guy Ribes ?

C’est Picasso qui a inventé le style. Guy Ribes, lui, crée des variations autour de ses oeuvres.. On a le cas, en littérature (voir récemment le cas «Millenium») ou en en bande dessinée, d’auteurs qui, lorsqu’ils meurent, sont remplacés par d’autres auteurs qui font à la manière de…

Oui mais la différence, c’est la signature. Ils signent de leur propre nom, pas du nom de l’auteur original. Il n’y a aucune confusion possible.

La signature, c’est l’ultime garantie mais elle peut aussi être imitée. Le film nous interroge vraiment sur les limites de ce que l’on considère comme vrai.

Quand un faux est très bien fait et qu’il abuse tous les connaisseurs, tous les esthètes, tous les experts, tous ceux qui connaissent bien l’œuvre originale du peintre, il n’y a pas de raison que cette œuvre soit déconsidérée. Il y a des faux qui sont des œuvres magnifiques.

Mais ce n’est pas légal si l’œuvre n’est pas dans le domaine public et, de plus, ils ne doivent jamais porter de fausses signatures. Ribes signait pour donner de la valeur marchande aux œuvres. Il connaissait même les nombreuses signatures de Picasso.


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