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Esbroufe pour initiés

Par Carmenrob

Ce livre m’est tombé des mains au moment où mon menton s’affaissait sur ma poitrine. Je m’étais pourtant rendue, dans un louable effort de volonté, jusqu’à la page 170. Mais à la pensée qu’il me restait 325 pages à me taper, j’ai capitulé. Non sans une certaine dose de remord. Car je déteste abandonner un livre, surtout si, de l’avis de gens ayant davantage d’autorité que moi en la matière,  il s’agit d’un excellent roman, et primé en plus.

barthes

Qui a tué Roland Barthes? a pour point de départ la mort de l’éminent sémiologue happé par une camionnette, dans une rue de Paris, en 1980. Tout comme le véhicule meurtrier, l’histoire démarre sur les chapeaux de roues et zigzague de péripéties loufoques en situations caricaturales. Elle écorche, bouscule et renverse à l’occasion la faune grouillante de l’intelligentsia littéraire des années 80 — écrivains, philosophes, linguistes. Tous les grands noms écopent. Les Foucault, Deleuze, Sollers, Bourdieu, Sartre, Sagan, Lacan, Bernard-Henri Levy, et j’en passe, chacun bitchant les autres allègrement.

La fiction de Laurent Binet suggère que la mort de Barthes n’est pas accidentelle, mais que celui-ci a plutôt été victime d’une guerre sans merci pour l’appropriation de sa dernière trouvaille, celle du sous-titre, La septième fonction du langage, lequel, si on se fie aux pontes du domaine, n’en comptait que six. On découvre bientôt que les belligérants trônent aux plus hauts sommets. En France, Mitterand et Giscard sont concernés. Le chef du KGB, Youri Andropov, est de la partie, ainsi que des espions d’origine bulgare. En un mot, l’enjeu est international. Pour démêler l’écheveau, le détective Bayard s’adjoint un jeune professeur dont les capacités à décoder le sens caché des signes (sémiologie) sont éblouissantes.

La plume de Binet est inventive, alerte, acérée, voire féroce. Le tableau caricatural qu’il peint utilise tous les spectres de la palette littéraire, du réalisme le plus cru à la fantaisie la plus déjantée, à la limite du surréalisme. Le récit adopte à l’occasion un ton didactique en illustrant certains concepts, tels que la sémiologie ou les fonctions du langage. L’érudition de Laurent Binet est impressionnante et les références foisonnent.

Et voilà justement où ce livre me pose problème. Qui a tué Roland Barthes? m’apparaît comme une œuvre pour initiés. Français de préférence. Universitaires, forcément. Bien que le nom de nombreux personnages mis en cause m’est familier, ma connaissance de leurs actions ou de leur œuvre est insuffisante pour donner un sens au texte. Je ne conteste d’aucune manière la valeur et l’originalité de ce roman, mais je n’en distingue que l’esbroufe d’un littéraire décidé à en découdre avec de célèbres intellectuels, en empruntant au roman policier rocambolesque et en s’amusant comme un gamin. Moi, pas beaucoup.

Mais ce roman est peut-être pour vous.

Qui a tué Roland Barthes? La septième fonction du langage a été couronné du prix Interallié et prix du roman FNAC.

Laurent Binet, Qui a tué Roland Barthes? La septième fonction du langage, Grasset, Paris, 2015, 495 pages.


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