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Ces Noirs qui ont fait la France, de Benoît Hopkin

Par Liss

La parution de ce livre de Benoît Hopquin, Ces Noirs qui ont fait la France, en 2009, n'était pas passée inaperçue, des articles lui ont été consacrés, et c'est ainsi que moi-même j'avais entendu les échos de sa sortie. Le titre retient tout de suite l'intérêt, il dit tout : alors que l'idée largement répandue et entretenue dans les consciences est que les Noirs ne valent rien ; alors que la France a tendance à se glorifier de ce qu'elle est, tout en oubliant de faire une place honorable à ceux qui ont contribué à faire d'elle ce qu'elle est devenue, Benoît Hopquin prend le parti de guérir la cécité des Français, de rafraîchir leur mémoire.

Ces Noirs qui ont fait la France, de Benoît Hopkin

Oui, cette France oublieuse de ses enfants méritants, voilà ce qui sidère l'auteur. Non, la France n'est pas oublieuse de ses enfants en général, elle l'est de certains d'entre eux seulement, elle a une mémoire sélective : elle prend la fanfare quand ces enfants sont de type européen ou correspondent à l'image qu'elle se fait de ce que sont les Français, mais elle est comme gênée lorsque celui ou celle qui s'illustre par de hauts faits est d'origine africaine, car malgré la déclaration des droits de l'homme, vieille de plusieurs siècles maintenant, dans les faits, au quotidien, il apparaît encore clairement que les Noirs ne sont pas placés sur la même échelle que les Blancs. Personne ne l'ignore !

Et pourtant il faut lire ce livre pour mesurer la profondeur de la méconnaissance des mérites des Français noirs, il faut lire ce livre pour comprendre que ce n'est pas une simple méconnaissance, c'est une ignominie qui vous laisse sans voix. Au lieu de donner à l'enfant qui s'est distingué par ses mérites la médaille qui lui revient, la France demande à celui-ci de se taire, de disparaître même, et avec lui la mémoire de ses actes susceptibles de trop bousculer la conscience selon laquelle le mérite doit revenir aux Blancs. Quel séisme s'il fallait admettre que les Noirs se sont parfois montrés plus méritants que des Blancs, s'il fallait reconnaître que les Noirs se sont parfois montrés plus patriotiques que les Blancs, qu'ils ont défendu la France avec parfois plus de vigueur, de conviction que certains Blancs ! L'exemple du gouverneur Félix Eboué est édifiant. Si le général de Gaulle n'a pas manqué de lui témoigner toute sa reconnaissance pour le concours inespéré qu'il lui a apporté, si cette reconnaissance est allée jusqu'à donner à une station de métro (Dausmenil-Félix Eboué) et une place de Paris le nom de Félix Eboué, qu'a fait la postérité ? Pour elle, il est devenu "un fardeau historique encombrant", écoutez donc :

"Dans le métro, la RATP a rapetissé son nom sur les carrelages de la station à chaque nouvelle rénovation et biffé toute trace sur les plans de situation. Aujourd'hui, on passe par Dausmesnil tout court pour se rendre de Nation à Charles-de-Gaulle-Etoile. Exit Eboué. Les gens du métro ne sont pas malveillants, juste soucieux de ne pas encombrer inutilement les rames et les cerveaux. Au-dessus, la place garde le nom de Félix Eboué, mais qui le sait ? Mieux vaut donner rendez-vous place Daumesnil pour ne pas attendre inutilement l'ami désespérément perdu."

( Ces Noirs qui ont fait la France, pages 188-189).

On apprend beaucoup dans ce livre, mais on est également séduit par le style de l'auteur. On est ému aussi. Par le destin d'Albius par exemple. Faire une découverte révolutionnaire, à 12 ans, et mourir dans la plus grande pauvreté, oublié de tous. Ne pas avoir même une petite gratification de la part de ceux-là qui se sont enrichis au-delà de toute mesure grâce à votre découverte. Mais honnêtement, est-il possible qu'un esclave noir, un gamin en plus, découvre comment féconder artificiellement la vanille, non, non, NON ! C'est trop difficile à accepter, ainsi malgré le témoignage écrit de son maître "qui resta longtemps ignoré dans les fonds d'archives, comme une vérité gênante" (page 105), toutes sortes de légendes virent le jour, afin de minimiser cette découverte et même de la lui contester. Une ''mauvaise foi'', un "déni" qui était monnaie courante chaque fois qu'il s'agissait de Français Noirs. Je pense à l'instant à la place des trois Dumas, débaptisée place du général Catroux, c'est-à-dire du nom d'un général blanc, qui ne s'est pas sacrifié autant que le général Dumas pour la France, mais qu'importe ? Il est Blanc, cela suffit. Et pour celui dont Anatole France déclare : "Il a risqué soixante fois sa vie pour la France et est mort pauvre. Une pareille existence est un chef-d'oeuvre auprès duquel rien est à comparer" (cité par Benoît Hopkin dans son préambule, page 10), et bien pour celui-là, non seulement, on ne réhabilitera pas la statue, mais encore on gommera jusqu'à son nom. De la place Dumas, on passe à la place Catroux.

Cette gomme fait plus de mal que de bien, elle entretient la pensée que tous les Français ne sont pas égaux, elle ne génère que des frustrations, elle cristallise les injustices et les injustices ne provoquent, à long terme, que le mal-être. Il faudrait que les programmes, les conceptions des manuels soient revus :

"Dans les livres de français, soit par honte d'avoir colonisé et asservi, soit par dépit d'avoir été largué, soit par indifférence affective, on a écarté ces années vécues ensemble. Les traces de couleur ont été peu à peu gommées de notre saga nationale." (page 8)

Nous sommes en 2016. Les choses ont-elles changé ? Dans quel manuel trouverez-vous l'histoire, non pas l'histoire, mais ne serait-ce que la mention d'Edmond Albius, de Félix Eboué, de Louis Delgrès, du chevalier de Saint-George et j'en passe ? J'ai beaucoup apprécié la manière dont Benoît Hopquin a composé ses chapitres, se mettant à la place du héros, confrontant les sources, faisant parler les archives, agrémentant l'ensemble d'une touche personnelle qui rend les portraits très touchants, comme on peut le voir dès le premier chapitre, consacrés au chevalier de Saint-George, l'un de mes préférés.

Lire aussi la critique de mon ami historien Raphaël ici et aussi une interview de l'auteur sur le site de grioo.com.

Liste des portraits : Chevalier de Saint-George / Jean-Baptiste Belley / Louis Delgrès / François-Auguste Perrinon / Edmond Albius / Blaise Diagne / Sidi Samaké / Habib Benglia / René Maran / Félix Eboué / Charles N'Tchoréré / Addi Bâ / Maboulkede / Léopold Sédar Senghor et Aimé Césaire / Gaston Monnerville.

Benoît Hopquin, Ces Noirs qui ont fait la France, Calmann-Lévy, 2009, 300 pages.


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