Partager la publication "[Critique série] TREME"
Titre original : Treme
Note:
Origine : États-Unis
Créateurs : David Simon, Eric Overmyer
Réalisateurs : Agnieszka Holland, Jim McKay, Ernest Dickerson, Anthony Hemingway, Christine Moore, Brad Anderson, Simon Cellan Jones, Dan Attias, Tim Robbins, Alex Zakrzewski, Rob Bailey, Roxann Dawson, Adam Davidson…
Distribution : Khandi Alexander, Rob Brown, Clarke Peters, Kim Dickens, Steve Zahn, Michiel Huisman, John Goodman, David Morse, Melissa Leo…
Genre : Drame/Comédie/Policier
Diffusion en France : OCS/France O
Nombre d’épisodes : 36 (4 saisons)
Le Pitch :
La Nouvelle-Orléans, 3 mois après le passage de l’ouragan Katrina : la population peine à se relever de la tempête et de la gestion gouvernementale désastreuse qui s’en est suivie. Voici l’histoire de multiples individus, de leur rapport avec cette ville et sa culture unique…
La Critique :
Nous vivons une époque bénie pour les amateurs de séries. La profusion, la légitimité, le succès des séries télévisées est indéniable. Il y en a partout et pour tous, tant et tant qu’il arrive que l’on sature, ne sachant plus où donner de la tête. Et puis il y a les électrochocs, les expériences audiovisuelles qui vous font oublier toute cette sympathique agitation et vous ramènent sur Terre tout en vous offrant un trip absolu… C’est le cas de Treme. Mais il convient de se pencher sur la genèse du show pour bien en comprendre le sens et l’importance.
29 août 2005 : la Louisiane est frappée par l’ouragan Katrina. Avec ses vents qui pointent à 280 km/heure et son étendue gigantesque (plus de 650 km) elle occasionnera d’énormes dégâts à La Nouvelle-Orléans et ses environs (aux dernières nouvelles, la facture se chiffrerait à 108 milliards de dollars). Elle entraînera une énorme crue du fleuve Mississippi et par voie de conséquence provoquera la plus grosse inondation qu’a connu la métropole. 1836 personnes trouveront la mort. S’ensuivra une longue, très longue période de doutes, d’incertitude et de détresse pour les populations concernées…
En 2008, alors que la Nouvelles-Orléans peine à remonter la pente d’un point de vue économique, David Simon (le monstrueux showrunner qui a contribué a propulser HBO dans la stratosphère télévisuelle à grands coup de The Wire, Homicide, Generation Kill ou plus récemment Show Me A Hero) veut créer une série évoquant la ville, ses habitants et ses difficultés afin de donner un coup de pouce. Les dirigeants d’HBO donnent le feu vert pour un pilote mais pas pour une saison entière, et l’annoncent même à la presse. Il faut attendre 2009 pour que le tournage ait lieu sur place, sous la houlette de la réalisatrice polonaise Agnieszka Holland. Simon a recruté une équipe de rêve tant devant que derrière la caméra, avec notamment David Pelecanos, grand écrivain de polars et complice du showrunner depuis The Wire, ou encore David Mills, lui aussi un vieux pote et mélomane devant l’éternel (il décédera brutalement sur les lieux du tournage, douze jours avant la première). Eric Overmyer l’assiste dans sa lourde tâche. Niveau casting, on a droit à un menu absolument dantesque entre grosses pointures (John Goodman, Kim Dickens…) et d’autres moins connus (Clarke Peters, Steve Zahn…).Le résultat satisfait pleinement les cadres du network, qui en commandent dix de plus. Ainsi débuta l’aventure de ce show exceptionnel….
Mais de quoi parle donc cette série ? Et bien, son titre étant le nom d’un des quartiers les plus importants de La Nouvelle-Orléans (berceau d’une bonne partie de la musique américaine et très ancienne communauté afro-américaine) on serait tenté de dire que la ville est le principal personnage. Ce qui est vrai. Mais qu’est ce qu’une ville si ce n’est un ensemble d’individualités ? C’est là que l’énorme casting entre en jeu. On va suivre à peu près une douzaine de personnages tout au long des saisons. Cuisiniers, musiciens, profs, avocats.. tous sont différents de par leur milieu social et le rapport qu’ils entretiennent avec la belle cité de Louisiane. Chacun en incarne une facette tout en étant profondément humain et contrasté. On suit donc Annie (la géniale violoniste Lucia Micarelli) et Sonny (l’omniprésent parce que toujours génial Michiel Huisman), un couple de musiciens de rue venus s’installer dans la ville de leurs rêves, la famille Bernette composée de Toni (avocate qui défend les plus désespérés), son mari Craighton (génial prof d’université en colère campé par le brillant John Goodman) et Sofia, une ado rebelle. Albert Lambreaux (l’über charismatique Clarke Peters) et son fils Delmond incarnent deux aspects opposés. Le premier est le Big Chief d’un tribu d’Indiens (attention, il s’agit d’une tradition au sein de la communauté afro-américaine qui consiste à se déguiser et effectuer des danses et chants particuliers pendant les nombreuses fêtes qui rythment la vie des habitants du coin) puriste dans tous les sens du terme. L’autre est un trompettiste de jazz qui commence à se faire un nom au sein de la scène new-yorkaise et qui vient aider son père à rebâtir sa maison détruite durant l’inondation. Jannette Desautel (merveilleuse Kim Dickens) a connu le même problème avec son restaurant. Antoine Baptiste doit gérer sa vie trépidante de musicien joueur de trombone tandis que sa femme Honorée doit reprendre son boulot d’enseignante. LaDonna (ultra badass Khandi Alexander) doit remonter son bar lui aussi ravagé et recherche désespérément son frère disparu dans le chaos post-Katrina. Et enfin, Davis McAlary (campé par un Steve Zahn particulièrement en verve) est DJ au sein de la radio locale et militant pour la préservation de la très riche culture locale.
On suit donc tous ces gens dans leur quotidien à travers des tranches de vie, la joie, la peine et tout ce qui se trouve entre les deux. Et il ne s’agit que des personnages principaux de la première saison, sachant qu’il y en a quatre et qu’il se passe beaucoup de choses, que de nouveaux protagonistes (Nelson Hidalgo l’investisseur à la fois rapace et amoureux de la ville et LP Everett, journaliste enquêtant sur des meurtres mystérieux, Terry Colson le flic intègre perdu dans le labyrinthe créé par ses collègues ripoux) rejoignent la piste et que tout ce joyeux petit monde s’entrechoque et se croise dans un balai d’une grande finesse. Chacun livre une performance sans faille.
Cette série est un véritable chef-d’œuvre en matière d’écriture. On est constamment émerveillé par le naturel de tous ces individus campés sans un seul point faible par des acteurs stupéfiants de justesse. Tout est affaire de nuance et le manichéisme est totalement absent de la série. On parle de sujets graves (gentrification, corruption politique et financière, racisme…) mais considérer la série comme un simple pamphlet serait passer à coté de l’essentiel. L’humanité y est explorée avec une acuité incroyable et une grande délicatesse. Les dialogues sont superbes, à la fois profonds et sonnant clairement « vrai ». À aucun moment on a ce sentiment de « sur-écriture » si courant dans les shows de ce genre. Simon et son équipe ont su saisir l’âme de cette ville en s’inspirant d’habitants pour les personnages fictifs, voire en les embauchant comme consultants. On a droit à un panorama quasi exhaustif de ce qui fait de La Nouvelle-Orléans un lieu unique sur le plan culturel (musiques au pluriel, cuisine, fêtes…). De plus, bon nombre de musiciens (locaux ou internationaux) jouent dans la série, soit leur propre rôle, soit des personnages fictifs. On pourrait faire une liste incroyable mais sachez que si vous êtes mélomane, vous allez découvrir les joies de l’orgasme multiple. Ajoutez à cela que chaque épisode comporte au moins un moment de musique live (dans un studio, la rue, des festivals, des salles de concert…). La musique est omniprésente et fait souvent le lien entre tous les éléments de la série. La mise en scène est à l’avenant, efficace et économe de ses moyens, elle ne rend l’intrigue que plus forte. Les fulgurances sont là mais pas d’esbroufe ou de « pause » à l’horizon. D’ailleurs, il s’agit d’une série qui suggère bien plus qu’elle ne montre, peu de sexe explicite ou de violence frontale (ce qui ne veut pas dire que vous n’allez pas vous prendre quelques tartes…).
La critique est dithyrambique, le Times Picayune, le plus grand journal de Louisiane, en a fait l’éloge, remerciant les créateurs pour leur pertinence et leur respect. Mais malheureusement, le public ne fut pas au rendez-vous. Après une saison 3 qui n’a pas vu les scores d’audience monter, HBO a décidé de mettre fin à la série, en proposant une ultime saison de 5 épisodes pour conclure l’intrigue. Simon et son équipe ont donc livré un baroud d’honneur en nous offrant une conclusion digne de ce nom, sublime dans sa simplicité et sa cohérence avec l’esprit de la série, qui n’a jamais vu sa qualité baisser au fil des ans…C’est ainsi que s’est tournée une des plus belles pages de la télévision américaine, dans une quasi indifférence…
En bref, vous allez passer par tous les états : la musique vous fera danser, la cuisine vous donnera faim, les galères des personnages vous toucheront autant que leurs réussites, vous aurez vu naître des chansons et renaître certaines personnes…Vous aurez eu l’impression d’arpenter les rues de La Nouvelle-Orléans à leurs côtés, avec ses plus beaux boulevards comme ses plus sombres allées. Car Treme est une sublime déclaration d’amour adressée à cette ville digne. Et alors que les dernières notes résonnent et que le générique final commence, nous voilà saisi d’une soudaine mélancolie à l’idée de laisser tout cela derrière nous…
@ Sacha Lopez
Crédits photos : HBO