J’ai trouvé ces deux beaux poèmes de René Char dans le recueil Les Matinaux (1947-1949) et, plus précisément dans la partie « Le consentement tacite ».
Vous trouverez ce recueil dans la collection Poésie/Gallimard.
J’aime ces poèmes pour une certaine violence contenue et parce qu’ils me font un peu penser à certaines Illuminations de Rimbaud – mais en plus clair et en plus incisif, il me semble.
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L’adolescent souffleté
Les mêmes coups qui l’envoyaient au sol le lançaient en même temps loin devant sa vie, vers les futures années où, quand il saignerait, ce ne serait plus à cause de l’iniquité d’un seul. Tel l’arbuste que réconfortent ses racines et qui presse ses rameaux meurtris contre son fût résistant, il descendait ensuite à reculons dans le mutisme de ce savoir et dans son innocence. Enfin il s’échappait, s’enfuyait et devenait souverainement heureux. Il atteignait la prairie et la barrière des roseaux dont il cajolait la vase et percevait le sec frémissement. Il semblait que ce que la terre avait produit de plus noble et de plus persévérant, l’avait, en compensation, adopté.
Il recommencerait ainsi jusqu’au moment où, la nécessité de rompre disparue, il se tiendrait droit et attentif parmi les hommes, à la fois plus vulnérable et plus fort.
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Le Masque Funèbre
Il était un homme, une fois, qui n’ayant plus faim, plus jamais faim, tant il avait dévoré d’héritages, englouti d’aliments, appauvri son prochain, trouva sa table vide, son lit désert, sa femme grosse, et la terre mauvaise dans le champ de son cœur.
N’ayant pas de tombeau et se voulant en vie, n’ayant rien à donner et moins à recevoir, les objets le fuyant, les bêtes lui mentant, il vola la famine et s’en fit une assiette qui devint son miroir et sa propre déroute.