IV
Ce soir les barques reprendront la mer.
Voilà
Vaisseaux légers qui ne laisseront pas de trace
(non moins que la quinquarème de Ptolémée)
haute mer
pleine mer
pourtant… eu égard aux dieux solitaires
et à la réputation de Pergame…
Mais à quoi bon, n’est-ce pas, puisque nous savons bien
ce qu’il advint de l’acropole
(haute mer)
pleine mer de terre et de pierre,
qui recrache tant d’épave sous la pelle
avec les os, le verre, le bronze)
Bateaux légers et lourds vaisseaux
Tout va au fond, tout sonne sous la pioche…
Tombes sans fleurs, sans crois, sans allées ni chemins
tracés
Et même l’anecdote qui vous faisait peur
elle n’a plus cours (foutue, complètement foutue)
avec les écriteaux qui disaient : ici la forêt et là le port
ou le palais ;
Et surtout l’anecdote qui vous faisait horreur
elle va au fond
tête en bas dans la mer
Voilà
Tout franchit le silence et le bruit
cette amour-ci et cette séance au Sénat
et la pluie le long des parois taillées dans le roc.
Hautes roches
pleines roches pétries
de pierre, de terre et d’os
avec les mots qui les ont désignés
le tout bien tassé au fil des jours.
Emmanuel Hocquard, Les élégies, P.O.L., 1990 et édition Poésie / Gallimard, 2016