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Cinéma : "Eldorado" de Rui Eduardo Abreu, Thierry Besseling, Loïc Tanson

Par Paulo Lobo
Il faut que je note quelques mots sur le film « Eldorado », que j’ai vu hier soir à l’Utopolis, un documentaire réalisé par le trio Rui Abreu - Loïc Tanson - Thierry Besseling. J’ai envie de le dire tout de go : j’ai trouvé que c’est un excellent film, avec de l’émotion, de l’humour, de l’humilité et une grande habileté technique et narrative. Eldorado nous propose des ponctions de vie de quatre individus qui peuvent être rattachés plus ou moins directement à l’appellation « Portugais du Luxembourg ». On les accompagne sur plusieurs années, on se familiarise avec leurs parcours et personnalités, leurs histoires sont minimes, pas vraiment spectaculaires, ils étudient ou travaillent, ont des familles ou des amis, ont des doutes, des rêves et des blessures... Et ils vont de l’avant, malgré tout ce qui pèse sur eux. Soyons clairs : j’aime les belles images, j’aime les belles histoires, j'aime quand on me raconte une belle histoire avec talent et sensibilité, j'aime quand des personnages à l'écran sont touchants, véridiques et proches. Tout ça, je l'ai ressenti en voyant « Eldorado ». 
J'aime aussi le fait que les trois jeunes auteurs ne se sont pas pris la tête, mais qu’ils ont fait preuve de respect et de simplicité en abordant un sujet comme celui-ci, vaste et kaléidoscopique, dans lequel il aurait été facile de se perdre en discours théoriques et en chiffres dénués de sentiment.Non, Eldorado ne nous donne à voir ni des exemples de réussite sociale, ni des cas de détresse absolue. Les réalisateurs se sont intéressés à la petite musique des « petites » gens, brodant avec beaucoup de délicatesse autour de l’existence de quelques profils issus des classes « défavorisées ». Ils essayent d'être au plus près de ces êtres, au plus près de leur quotidien, ils nous font ressentir leurs aspirations, les épreuves qui émaillent leurs vies de tous les jours, comment ils rient, pleurent, aiment, sont découragés, mais continuent à vivre et à espérer. Eldorado ne prétend aucunement à l'analyse sociologique, le film omet les commentaires d'experts ou d'historiens,évite les jugements, et il aspire surtout, il me semble, à nous offrir un regard sincère, personnel et empathique sur les récits individuels qu'il nous raconte. C'est avant tout une oeuvre de cinéma, avec des parti-pris de mise en scène, de montage, de romanesque.
Les images sont très belles, la caméra est décidée et fluide, la musique est juste et la direction d'acteurs - même si tout le monde joue son propre rôle - est parfaite.  
Eldorado est en apparence un documentaire à la sauce naturaliste, mais, non content de son carcan d’objectivité, il introduit souvent des situations avec les protagonistes qui nous sont narrées comme de véritables moments de cinéma. C'est ainsi que, par cette volonté d'immersion dans le réel, les réalisateurs parviennent à insuffler dans les différentes séquences de leur film énormément de vérité et d’intensité. Certains moments, par exemple lors d'une conversation entre Jonathan et son père dans un café, l’émotion naît du fait que nous soyons placés au coeur de ce dialogue, de cet échange de regards et de non-dits. Sans empressement ni coups de caméra nerveux, nous sommes là, dans le partage de ce moment d'intimité. Et des séquences comme celle-ci, tout en subtilité et retenue, abondent dans le film.Prendre des personnes simples et modestes comme celles qui nous sont dépeintes ici, les accompagner comme ça pendant un moment, montrer comment petit à petit elles font leur chemin, comment elles restent dignes et sensibles malgré les difficultés et les impasses, je trouve que c’est là une approche forte etréjouissante. Et puis il y a cette échappée belle inattendue, vers la fin du film. On pourra dire que cette fantaisie est déplacée dans un documentaire, mais moi cela m’a profondément ému. J’ai marché à fond. Des fulgurances comme celle-ci certes ne surviennent pas dans la vraie vie, mais elles existent bel et bien dans l’imaginaire des gens. Cette évasion poétique des femmes de ménage dans l’immeuble de bureaux et des maçons sur le chantier, c’est une façon de dire que des héros du quotidienexistent tout autour de nous, et que la plupart du temps, on ne les voit absolument pas. Il y a un système qui conditionne et catégorise les êtres, qui les utilise comme de vulgaires outils de production, mais ce qu’il oublie, ce système, c’est que ces êtres ont des cœurs qui battent et des jambes qui leur permettent de rester debout.Alors oui, je pense que ce serait bien qu'un maximum de Portugais du Luxembourg aillent voir ce film qui leur rend un si bel hommage. Je trouve aussi que ce serait bien qu'un maximum de personnes de tous les horizons et de toutes les cultures puissent voir Eldorado, car c’est une oeuvre belle et humaniste, qui fait la part belle aux sentiments de nos vraies vies de tous les jours, et qui rend leur dignité à des êtres qui sont trop souvent laissés dans l'ombre.  P. LoboCinéma

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