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Tobie Nathan : retour au pays

Par Tobie @tobie_nathan

dans

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Par Farès Sassine
2016 – 03

En prenant pour titre de son dixième roman un vers de Baudelaire, Tobie Nathan, universitaire français, psychologue et ethnopsychiatre à l’école de Georges Devereux, né au Caire en 1948 et l’ayant quitté en 1957 dans la foulée de dizaines de milliers de juifs d’Égypte, répond à une invitation au voyage dans un temps qu’il a peu connu mais qui ne l’a jamais quitté, sa fiction allant d’avant 1925 à la révolution de juillet en 1952. Mais de quel pays s’agit-il ? de Haret el-Yahoud, scène primordiale, antique et inchangée jusqu’à sa disparition ? d’une de ses venelles ? du Caire où ce quartier s’imbrique avec d’autres aux échelons des croyances et pratiques ? de l’Égypte prénassérienne qui aime son roi malgré ses travers scandaleux et dont le peuple a un sens aigu de la dignité nationale ? de l’Égypte multiséculaire où le peuple entier est « cannibale » en mangeant ces fèves qui s’apparentent à des fœtus et les mijote de façon succulente, les mélangeant à l’huile et aux épices ? La réponse ne saurait être exclusive. Mais Le Caire est au carrefour des cercles et les condense. La ressemblance (du vers baudelairien) est chose essentielle et on la devine dans ce propos où l’auteur affirme que contrairement à Paris où domine la raison, au Caire triomphe la vie : Al-Qahira, la victorieuse, ne l’est que de l’ordre. Fares Sassine

Fares Sassine

Si Nathan réussit un portrait aussi vivant du quartier juif du Caire, c’est qu’il le saisit à travers des personnages atypiques, hauts en couleurs mais aux marges de la normalité : Esther, belle mais tenue pour folle et habitée par un ‘afrît pour être tombée à cinq ans d’une terrasse et avoir perdu connaissance ; son mari et cousin Motty, son aîné de 14 ans, beau et « immense dans sa galabeya immaculée », est aveugle dès la tendre enfance. Le couple s’aime et est heureux en ménage, ce qui est une exception, un don de Dieu peut être, dans la Haret où on se mariait parce qu’on respirait, marchait, mangeait… Il reste sept ans sans enfants, d’où le recours à Khadouja, la sorcière, qui connait « les plantes, les pierres et les paroles qui font venir les enfants » et dont le théâtre d’opération est la vieille ville où elle déambule et dort sous les porches. D’un quartier l’autre : Esther et ses tantes passent à la hara musulmane de Bab el-Zouweila pour participer à un rite conduit par la Kudiya et rendu aux seigneurs, les « zars », rite composé de danse, de transe, de présences… et un fils, Zohar « la fumée » de naître, principal héros du roman.

…/… La communauté de la hara mène une vie quotidienne de routine, de misère et de bonheur. Mais elle se pense hors du temps, présente avec Moïse avant l’Exode, rappelée à la foi par Maïmonide 3000 ans plus tard, ayant survécu à tous les envahisseurs des Perses aux Ottomans ; elle croit appartenir au paysage « comme les ibis, comme les bufflons, comme les milans ». C’était sans prévoir les affres du colonialisme, du nationalisme et de l’intégrisme. …/… Le texte est relevé de toutes les saveurs, celles de la bouche, de l’érotisme, de la parole qui ne manque pas de glisser d’une langue à l’autre. Il approche pertinemment l’identité : les juifs sont affirmés des Égyptiens comme les coptes et les musulmans, mais la dualité est profonde. Zohar Zohar a pour nom arabe Gohar ibn Gohar et chaque nom est déjà double. La Kudiya lui dit : « Rappelle-toi, enfant de la nuit, tu n’es pas un mais deux ! Et si un jour tu crois savoir avec qui tu fais un, pense que tu n’es pas deux, mais trois… »
Farès Sassine Pour lire la chronique dans son intégralité <—

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