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(Anthologie permanente) Herman Gorter (1864-1927), par Alain Lance

Par Florence Trocmé

Le nom d’Herman Gorter reste pour moi attaché à ce vers – ou ce titre d’un poème ? – que m’avait cité Henri Deluy, au début des années soixante-dix, lorsque je préparais un numéro d’Action poétique sur la tradition et le renouveau de l’agitprop dans la poésie allemande : « Le ciel bleuit de propagande. » La publication de ce choix permet aux lecteurs français de découvrir la poésie de ce poète néerlandais, né en 1964 et mort en 1927. Si Gorter fut un militant communiste, ami de Rosa Luxembourg et de Karl Liebknecht, ce ne sont pas les longs poèmes lyriques ou ceux résolument politiques qu’Henri Deluy et sa fille Saskia ont privilégiés pour composer ce livre, mais des textes plus sensibles, bucoliques parfois, qui semblent avoir ouvert la voie à la modernité poétique aux Pays-Bas.
Le poète Henri Deluy est un infatigable passeur des voix étrangères : on retrouve en effet dans la bibliographie des traductions qu’il a publiées le Tchèque Seifert, le Slovaque Novomesky, le Portugais Pessoa, les Russes Mandelstam, Akhmatova, Pasternak, Maïakovski, Tsvetaieva, d’autres encore et bien entendu des poètes de la modernité hollandaise, comme Holst, Lucebert ou Schierbeek.
Alain Lance
Je suis seul éclairé par la lampe
les choses regardent, indifférentes,
autour de moi, dans la lumière.
Les choses si immobiles autour de moi
à l’écoute du silence,
de ce qu’il veut dire.
Et un passé me revient aux oreilles
qui toujours notent et toujours écoutent
les choses perdues.
*
Le soir dans l’obscurité elle ferme les yeux
une chaleur, une rougeur alors les entourent,
la blanche lumière accablante se dérobe
qui le jour séchait les joues brûlantes.
Il n’y a rien, pourtant c’est un long sifflement,
de longs manteaux rouges sur les fenêtres,
et des rideaux d’ombre tombent et l’enveloppent,
tout est proche et chaud, l’extérieur disparaît.
Une femme. Chaude et calme elle repose dans la nuit,
de chaleur et d’obscurité, d’elle seule entourée.
*
Sur les maisons un faux air
de beauté comme si elles étaient d’ébène,
avec cadres enflammés d’or,
poutres d’ivoire jaune et ancien.
Et des femmes penchaient
la tête hors des fenêtres, observant
et prononçant de petits mots
fins et faux comme des pièces de monnaie.
Et des hommes sortaient la tête
des quartiers ruinés de la ville,
le gros rouge devint jaune,
leurs mots noirs et nombreux.
J’étais assis immobile et droit,
mes sujets sont mauvais,
me dis-je, je suis seul –
j’étais fier et satisfait.
*
De la neige sur la mousse,
où sereine elle reposait –
Les lèvres ouvertes et humides,
les yeux ouverts et humides.
Sa main tapait le sol,
de son lent doigt blanc,
ses épaules se courbaient,
en bleu sur le blanc de neige.
Les yeux sous moi
ovale de perle –
comme si elle venait de moi,
égarée hors de moi.
*
Au travers des émeutes et des guerres,
Au travers des ciels ensanglantés,
Je vois des rayons et j’entends encore
La voix de l’Homme Nouveau, sa ferveur.
Herman Gorter, Ce que tu es, traduction du néerlandais, notes et présentation de Saskia Deluy et Henri Deluy, Al Dante, 13 euros.


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