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Histoire: John Bonhomme et le Temps retrouvé, chapitre 6

Par Ariane_

On avait rarement vu un aussi beau cheval, car véritablement, Capsoul défiait toutes les lois de l’équitation et de la peinture en un temps infime. La robe de la jument, constellée de pigments de couleurs, avait une parenté avec les fauvistes, tandis que la crinière, en grande retenue, paraissait convoquer le classicisme extrême des peintres du XIX ème siècle en leur proposant un pinceau sans plus ni moins de crins. Mai le plus amusant se révélait sans doute au niveau de la tête, avec une bouche cernée de beaux points blancs aussi purs qu’une toile de Marc Rothko. L’ensemble permettait de contempler d’un seul coup d’œil tout l’art des siècles passés, jusqu’aux peintres des cavernes qui, peignant des chevaux, auraient certes pu peindre des millions de fois ce cheval là, et cerner, avec des siècles d’avance, l’avenir pictural du monde.

Mais Capsoul est une jument, et une jument ne se laisse vraiment faire que lorsqu’elle est d’humeur condescendante. Ce n’est le cas que très rarement, à une période mal aisée à définir, au printemps, quelques minutes le reste du temps. John, sur sa fière jument, est parti pour un tour de galop sans trop le vouloir. La jument use de ses membres d’une bien étrange manière, et le chien qu’elle poursuit les oreilles en arrière et les naseaux fort remontés, semble se moquer d’elle.
Johanna suit la scène avec attention, et semble penser que décidemment, si les aventures recommencent, la folie revient aussi au galop. Pourtant, elle apprécie fort Capsoul. Combien de fois John s’est écroulé devant elle, détrôné de sa selle comme un vieux jean troué ! Combien de fois a-t-elle ri à en perdre la tête, trop heureuse de voir que son père, ce héros de livres dont elle croyait pouvoir être en droit de tomber amoureuse, pouvait aussi tomber dans un fossé ou dans un tas d’orties solitaire à vingt kilomètres à la ronde !
Mais déjà, Marcel s’avance. Il porte des lunettes. Il est jeune, et à l’aube de Johanna, jeune fille en fleurs, il n’est pas tant troublé que ça, John Bonhomme, sans doute, lui plait davantage pour sa virilité philosophique, son visage en forme de madeleine et sa bouche à l’odeur de thé au lait.
- Du coté de chez John, dit-il, je sens une quête particulièrement ardue, et je peux vous aider.
Johanna le regarde, l’inspecte, l’observe, aimerait bien toucher un peu sa peau, voir si elle est douce ou non, si ses habits sont enviables ou pas, mais elle n’ose, et d’entendre John pester contre sa jument, elle se sent déjà bien honteuse. La chute du père rejaillit sur la fille, si bien que Johanna devant Marcel, n’ose rien dire.
- Le temps retrouvé, ça me connaît dit Marcel. Aussi, je viendrai avec vous.
Mais Johanna, persuadée d’être hantée par elle ne sait trop quoi ; un fantôme, un revenant, l’intertextualité, un esprit en colère, s’écarte, rejoint John dans une hâte rarement égalée, et déposant d’un bras son père sur la jument étonnée, elle monte à son tour, lance la jument au galop, tout en hurlant avec grande politesse : « C’est un monstre, il est mort et il est là, il faut fuir, je ne veux pas mourir ! »


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