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Le web gratuit, c’est fini !

Publié le 08 mars 2016 par Davidme

En me réveillant, ce matin, avant d'écrire cette chronique, j'ai allumé l'ordinateur. Jusqu'ici rien de révolutionnaire. Sauf qu'ensuite, je me suis connecté à mon compte Deezer que je paye 9 euros/mois, j'ai consulté la dernière enquête à la Une de Mediapart, site qui me coûte également 9 euros / mois. J'ai fait un détour sur E-Presse pour acheter Le Figaro du jour et hier soir, avant de dormir, je me suis connecté sur l'appli de Libération pour lire le quotidien grâce à mon abonnement 100% numérique. Tout cela avant de chercher sur ma télé connectée quel film je pourrais louer le soir même pour 4 euros. Je n'ai pas trouvé grand chose. Pas grave, car grâce à mon abonnement Netflix (9e/mois), je pourrais voir ce soir la 4 ème saison d'House of Cards. Bref, une heure passée dans l'univers numérique. Une heure dans un univers numérique exclusivement payant. Sans avoir payé, il eut été impossible de surfer. Comme un monde qui change...

Le web gratuit, c’est fini !
" Un enterrement de première classe ". Ainsi commence le papier publié cette semaine dans Le Canard Enchaîné. L'article parle de Rue89, ce site lancé en 2007 par des anciens de Libération. À l'époque, Rue89 apporte une fraîcheur nouvelle, une information décalée, des reportages, des enquêtes et aussi ce que l'équipe appelle alors " l'info à 3 voix " : journalistes, experts et citoyens. Rue89 capte l'air du temps alors que Facebook et Twitter sont encore aux prémisses de leur éclosion sur le marché hexagonal. Évidemment, Rue89 est gratuit. Financé par la publicité. Évidemment car, à cette époque-là, payer pour de l'information ou du divertissement en ligne est incongru. Pis, la pensée unique du web juge cela comme étant une infamie.

Il faut se souvenir des sourires entendus, des sarcasmes et des railleries quand quelques mois plus tard, Arrêt sur Images d'abord, puis Mediapart ensuite se lancent. À contre-courant de l'époque. Sur abonnement et sans publicité. Cela ne marchera jamais, cela est intenable etc expliquaient alors les spécialistes du secteur. Quelques-uns, hormis les intéressés, y croyaient ici ou là.

Le web gratuit, c’est fini !

Huit ans après, Mediapart et Arrêt sur Images vont bien et Rue89 vit, selon les mots, du Canard Enchaîné un " enterrement de première classe " dans la galaxie Nouvel Observateur à laquelle il est désormais rattaché. Le problème de Rue89 est que malgré un réel succès d'audience, un réel succès journalistique et une qualité réelle, sa taille n'a jamais été assez conséquente pour les annonceurs qui réclament toujours plus d'audience et de buzz.

Changement de mentalité

Ce qui est en train de se passer est bel et bien un changement de paradigme quant à la perception que l'on peut avoir de l'information sur le web. Un site indépendant comme Rue89 n'a pas réussi à transformer l'essai en modèle économique. Arrêt sur Images, et surtout Mediapart y sont parvenus sur le modèle opposé. Avec la conviction profonde et bien développée que l'information de qualité avait un prix. Qu'il n'était pas possible de faire ce travail sans une implication financière du lecteur. Même sur internet. Surtout sur internet serait-on tenté d'écrire tant, l'affinité et la préférence sont la règle. Arrêt sur Images et Mediapart ne viennent d'ailleurs-ils pas de faire appel avec un immense succès à leurs abonnés pour une campagne de crowdfunding destinée à les aider à résoudre un différent avec le FISC ? Affinité, et préférence encore.

Le web gratuit, c’est fini !

Leurs abonnés ne sont pas des militants politiques, ils ont juste pris la mesure du changement de paradigme en train de s'opérer. Pour une information la plus honnête possible mieux vaut ne pas avoir d'actionnaires encombrants ou d'annonceurs sourcilleux. Non pas que d'avoir des actionnaires, ou des annonceurs rendent l'information moins honnête, mais cela la rend plus compliquée à produire.

Finalement, cette mise à l'écart de l'excellent Rue89 nous montre paradoxalement que l'information a une valeur et qu'elle a un prix. Ce n'est pas une honte de le dire. D'ailleurs, les journaux, dans les kiosques, sont payants. D'ailleurs, qu'on le veuille ou non, ce que l'on trouve dans Le Monde ou dans 20Minutes n'est pas du même calibre. Le fait que le lecteur internaute - pourtant fan du gratuit comme chaque internaute digne de ce nom - accepte désormais de payer souligne que la valeur de l'information est un fait qui lui parle.

Le pli est désormais pris. Les Jours.fr qui viennent de voir le jour se lancent résolument dans un modèle payant. Ses fondateurs n'ont d'ailleurs jamais vraiment envisagé le contraire. Idem pour la web télé de reportages Spicee. Et au final, tous les grands médias y viennent. Aussi, Le Monde, Le Figaro, Les Echos, L'Express, L'Obs ont d'ores et déjà travaillé sur une zone payante - sans pub - et avec quelques contenus spéciaux. Dans le même ordre d'idée, Le Monde a lancé son application La Matinale. Pour 2 euros par mois, le lecteur reçoit chaque matin dix infos traitées par la rédaction du quotidien. Avec une valeur ajoutée. Là encore, il paye, et c'est tant mieux.

De même, une étude récente, de l'American Presse Institute démontre à quel point cette dimension est devenue un réflexe, tant chez les lecteurs que chez les éditeurs. Ainsi, 77 des 98 journaux à grand tirage des Etats-Unis utilisent une solution payante pour leur espace digital. C'est une augmentation colossale sur cinq ans. Les uns avec un compteur d'article gratuit qui se termine par une offre d'abonnement, les autres par une offre " freemium ", les derniers, comme le Wall Street Journal proposent même un abonnement obligatoire pour leur version internet. Le prix moyen des abonnements quelque soit la formule est de 3,7 dollars. Evidemment, ce n'est pas encore l'Amérique, évidemment cela reste marginal dans le chiffre d'affaires global d'un titre, mais cela annonce un changement de paradigme dans la façon dont les éditeurs envisagent la question et dans la façon dont les lecteurs l'appréhendent.

Le web gratuit, c’est fini !
Ironie des temps cette tendance de fond s'accompagne de deux autres changements qui viennent l'accentuer un peu plus encore. D'abord, le ras-le-bol des publicités intrusives en ligne qui sont sur les sites de presse. De plus en plus d'internautes font appel aux adblockers. Ce n'est plus une simple tendance, c'est un raz-de-marée. Ainsi, 198 millions d'internautes à travers le monde utilisent les adblocks. En France, ils sont 5,7 millions, soit 13% des internautes. De quoi largement remettre en question le dogme sacré du financement de l'information en ligne par la publicité... D'ailleurs, certains journaux comme The Guardian ont même décidé de demander à leurs lecteurs utilisateurs de Adblocks un don pour le journal et les résultats ont été très intéressants. Aussi, le lecteur las de la publicité préfère faire un don à son journal, plutôt que de retirer son bloqueur de pubs. Instructif.

Le divertissement, aussi, peut se payer

Ce qui est encore plus intéressant, c'est que ce réflexe du payant, n'est pas cantonné à l'information en ligne. Il se propage, petit à petit, aussi vers le divertissement. Netflix, Deezer, ou Spotify en sont les symboles les plus marquants. Pour voir des séries, ou écouter de la musique, on peut aussi payer, même si le téléchargement reste encore largement majoritaire.

Le web gratuit, c’est fini !

Quoi qu'il en soit, nous sommes à un moment charnière. Un tournant est en train de s'opérer. Le web gratuit des origines est bien loin. Son adolescence est en train de se terminer et l'âge adulte pourrait bien voir l'émergence d'un internet où payer pour de l'information ou du divertissement sera un geste normal.

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