Dans la famille des Asturies, je demande Reeko ! Après vous avoir parlé des alter egos d’Exium, on complète la panoplie avec Juan Rico, natif d’Oviedo. À peine un mois plus tard, un second round de Techno ibérique s’impose pour une nuit de « Possession » – un melting point avec la résidente Parfait, le français UVB, l’allemand Vril en live, et l’anglais Cleric. Ni frontières, ni normes – et c’est le 18 mars que ça se passe.
Par un travail forcené et probablement une sensibilité musicale innée, Reeko a très vite atteint une grande reconnaissance en affirmant son identité, entre une techno sombre et quelques envolées. Lancé en tant que DJ vers 1997, on entend sa première release sur le label suédois Emergence en 2002. À peine un an plus tard, il crée le sien, Mental Disorder. Il s’est hissé dans l’élite de la Techno espagnole en rejoignant le label PoleGroup en 2008, avec Oscar Mulero, Exium, Christian Wünsch… Une petite famille qui a plus d’une corde à son arc.
Figure incontournable, Juan Rico nous donne son point de vue sur la scène espagnole en plein essor et nous en dit un peu plus sur son parcours. Interview ci-dessous !
Impossible d’ignorer le fait que toi, Valentin Corujo et Hector Sandoval venez de la même région, les Asturies. On dirait bien qu’il se trame quelque chose par là-bas ! Cette proximité vous a-t-elle permis de vous rencontrer ?
Les Asturies ont connu leur apogée en Techno dans les années 90. J’ai commencé en tant que DJ amateur dans des petites soirées en 1996, donc je ne les connaissais pas, car ils n’avaient pas encore commencé à sortir de disques.
La techno espagnole était-elle une influence pour toi, ou était-elle à l’époque devancée par la Techno des villes pionnières ?
On pourrait dire que mon influence n’a pas été la techno espagnole. J’ai commencé à faire mes premières expérimentations sonores en tant que producteur en 2000 et à sortir mes premiers disques en 2003, je crois qu’à cette période-là, il n’y avait encore rien en techno espagnole ; nous étions donc très influencés par la techno anglaise. D’après moi, le style particulier de la techno espagnole est né avec l’arrivée de la mode « minimale » en 2006 et la techno que nous faisions s’est alors retrouvée dans un état assez critique. D’une certaine manière, nous qui avons formés PoleGroup, on a dû s’adapter, tout en gardant nos racines. À ce niveau-là, je pense qu’une sonorité, un style différent est né, une techno espagnole comme on l’appelle aujourd’hui.
On a eu le point de vue d’Exium, on aimerait maintenant avoir le tien : alors selon toi, quelle place et quel avenir a la Techno en Espagne et dans le monde ?
La scène techno espagnole telle qu’on la connaissait a dégringolé vers 2006 ou quelque chose comme ça, rien à voir avec les années 90, qui ont été une grande époque pour la Techno et tout particulièrement en Espagne. Mais il est vrai que ces dernières années elle est remontée de façon impressionnante avec de nouveaux artistes et labels qui se sont fait connaître dans d’autres pays d’Europe avant l’Espagne. Je vois, sans aucun doute, un futur prometteur pour l’Espagne et je crois que pour la première fois, on va avoir la reconnaissance qu’on mérite en Europe.
Y a-t-il des clubs espagnols ou des raves incontournables que tu nous conseillerais ?
Bien que la scène techno ait baissé il y a quelques années, maintenant elle se ressaisit et il y a de plus en plus d’events et de clubs qui proposent une programmation électronique intéressante comme : Nitsa à Barcelone, Mondo et Fabrik à Madrid, Family, notre petit projet à Lanna, dans la province de Gijon. Ce ne sont que quelques exemples de salles qui programment de manière continue et misent sur la techno.
Comme on le sait, la Techno entretient une relation étroite avec les situations politiques et économiques dans ses origines. Est-ce-que tu penses que la situation espagnole a influencé cette scène musicale ?
C’est vrai que la forte crise de ces dernières années et la politique culturelle conservatrice ont fait disparaître beaucoup de clubs et de festivals. D’après moi, ça a entraîné beaucoup de promoteurs à penser à d’autres alternatives musicales plus commerciales, ce qui a beaucoup modifié la scène en général. Si tu fais allusion à la scène des années 90, alors je te dirais aussi que la politique culturelle a eu beaucoup d’influence parce qu’il n’y avait pas de contraintes horaires ni de contraintes de styles musicaux. Tout était plus libre, surtout dans les Asturies.
Tu fais aujourd’hui indéniablement partie de l’élite de la Techno ibérique, au cœur de la petite famille de PoleGroup. Qu’a apporté à ta carrière le fait de rejoindre ce label ?
Le projet de PoleGroup au début m’a semblé être une option très intéressante. On dit bien que « l’union fait la force », et ça s’est avéré exact. Ce projet m’a enrichi et m’a apporté des choses très positives dans ma carrière tant au niveau musical que personnel. Je crois qu’à nous tous on a réussi à faire évoluer notre musique de façon parallèle mais dans un même style, ce qu’on n’aurait pas pu faire en solo. Ça a donc été très gratifiant dès le début. Je suis très content de faire partie de ce groupe. C’est un label et une agence de booking très sérieuse mais avec une ambiance de travail très familiale où l’avis de tous a son importance. Je ne pense pas que beaucoup de labels et d’agences puissent en dire autant…
Tu avais très vite créé ton propre label, à peine un an après ta première release. Quel avantage pensais-tu obtenir en te lançant dès le début de façon autonome ? Et ce nom nous intrigue, pourquoi « Mental Disorder » ?
Bon, on est en train de parler de 2003. A cette époque j’avais 21 ans. J’étais très jeune et je venais d’arriver sur la scène professionnelle comme on dit ; ça te fait réfléchir à la façon dont tu dois travailler. Moi, je me sentais beaucoup plus à l’aise en produisant ma musique dans mon propre label, puisque de cette façon, le seul avis qui compte est le tien. Il est probable que cette manière de gérer ma carrière n’ait pas été la plus adéquate pour monter le plus vite au sommet puisque le fait de ne pas produire dans des grands labels connus réduit les possibilités, ou du moins les ralentit. Mais le travail paie tôt ou tard. Je crois que ça n’aurait pas été pareil si je n’avais pas créé Mental Disorder.
Le nom de Mental Disorder, je l’avais en tête bien avant d’avoir lancé le label. Enfant, j’avais vu le film The Texas Chain Saw Massacre (Massacre à la Tronçonneuse – 1974), et j’avais été tellement impressionné par le niveau de folie des personnages que je me suis rendu compte que c’était un sujet qui m’intéressait, et qui en même temps m’inspirait beaucoup, ce qui a influencé tous mes premiers sons. La plupart de mes morceaux sont basés sur des expériences ou des moments vécus, tant réels que fictifs.
Alors, quelles sont tes sources d’inspiration ? Je pense notamment à ta réinterprétation musicale de la Métamorphose de Kafka, c’est une approche assez originale.
Franchement, je n’ai pas une source d’inspiration concrète. Tous les styles de musique, de genres différents m’inspirent et dans beaucoup de cas bien au-delà de la musique électronique. Un grand nombre de disques sont également inspirés du cinéma et dans ce cas de livres, mais aussi d’expériences, de sentiments, de voyages et même de rêves. L’inspiration est partout, il suffit juste de savoir la trouver et d’en tirer parti.
En te lançant en tant que DJ, tu disposais de quel matériel ? Et actuellement ?
J’ai commencé, comme tout le monde à cette époque-là, avec deux platines, une table de mixage et plein de vinyles. Ceci dit, quand j’ai commencé en tant que professionnel, j’utilisais surtout un multipiste Tascam pour jouer en live. Aujourd’hui j’utilise 3 CDJ Pioneer, je crois que c’est une évolution intéressante vu qu’elle te permet de jouer avec les tracks, de les contrôler mais sans perdre l’essence même du mixage.
Tu produis des choses différentes, d’une Techno brute à une autre plus spatiale. On peut dire que ta musique traverse un spectre plutôt large, surtout si on se réfère à ton alias Architectural. Que cherches-tu à transmettre sous cette identité, qui semble plus expérimentale que ton travail en tant que Reeko ?
Je ne dirais pas que ma musique parcourt tout le spectre musical, loin de là. Comparé à ce que je faisais il y a plus de 6 ou 7 ans, eh bien oui, on remarque une grande différence. Mais je ne me considère pas comme un artiste très varié. Je crois que ma musique est clairement tournée vers un style particulier. Peut-être que plus elle est ancienne, plus elle est industrielle et influencée par la techno anglaise, mais elle n’est pas très variée. Il est vrai qu’Architectural a cette différence ; je l’ai créé en ressentant la nécessité de faire des choses plus expérimentales, mais en même temps musicales. Quelque chose qui n’aurait pas d’étiquette. Les sources d’inspiration sont les mêmes qu’avec ce que je fais sous le nom de Reeko, vu que je suis la même personne, mais la manière de les appréhender est très différente. Ça me permet parfois d’arriver à un résultat plus frais et original.
Et en tant que DJ, quelle est ta motivation principale ?
Je m’éclate beaucoup en me produisant comme DJ. C’est une manière d’exposer ta musique, et en même temps de montrer aux gens tes goûts musicaux. Je choisis tous les sons de façon à ce qu’ils s’identifient à moi et ma musique, de cette façon, j’arrive à un son global et une identité.
Quels sont tes projets pour 2016 ?
Je produirai pas mal de morceaux en tant qu’Architectural en 2016. J’ai quelques projets en tête, mais je n’aime pas en parler tant qu’ils ne sont pas complètement confirmés…
En attendant, on laisse planer le mystère avec cette douce performance au Studio R° :
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