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Sicile, 1. Proust, 0

Par Georgesf

Sicile, 1. Proust, 0

Parcourir toute la Sicile en huit jours est une bienfaisante expérience. J’ai été séduit par cette île ouverte, chaleureuse, digne, dont j’ai apprécié l’histoire rebondissante. C’est une fête pour l’œil et pour l’esprit.

Pendant ces mêmes huit jours, j’ai parcouru tout Proust : pour faire court, c’est exactement le contraire de la Sicile.

Et pour faire un peu plus long ?

Invocation préalable : je sais combien il est imprudent de ne pas vénérer Proust, surtout quand on prétend écrire. C’est passer pour un butor, un va-de-la-gueule. Au mieux, pour un brave imbécile au cœur joyeux.

Mais j’ai un alibi : j’ai lu les sept livres de la Recherche du temps perdu, mais simplement en « version condensée et adaptée, 500 pages au lieu de 3 000 comme le dit délicieusement son auteur. Je ne le regrette pas : ce parti pris m'a permis d’avoir enfin une vue d’ensemble de l’œuvre. Cela dit, c’est comme observer la pampa d’une montgolfière : quel que soit le recul pris, la répétition et la planitude de la vision créent plus d’ennui que de frisson.

Qu’en ai-je tiré ? Une grande tristesse.

Tristesse devant le gaspillage que constituent ces trois mille pages : il y avait là de quoi écrire une très belle nouvelle. Peut-être même deux ou trois, mais avec des risques de redites.

Tristesse devant cette fascination de l’auteur pour lui-même, pour ses comportements et attitudes, pour ses pensées, ses arrière-pensées, ses contre-pensées, que Proust s’épuise à nous présenter comme des messages de la plus haute importance.

Tristesse devant le style de l’auteur – oui, je sais, c’est mal, mais si Proust a le droit d’être sincère, moi aussi – et sa phrase qui se déploie en laborieux tortillements autour d’idées simples, comme ces trop longs bolducs qui veulent faire oublier la petitesse du cadeau. Il y a dans la construction de Proust une tendance à la circonvolution intestinale qui me laisse perplexe : où cela mène-t-il ?

Tristesse immense dans le dernier livre du Temps Perdu (Le Temps retrouvé). Avec ce que je crois être un magnifique humour, l’auteur disloque le puzzle patiemment assemblé depuis six livres, et le reconstitue à la va-vite en quelques pages comme pour s’en moquer : Madame Verdurin devient Princesse de Guermantes, le jeune Bloch change son nom en Jacques du Rozier, et ce chenapan de Baron de Charlus se met à jouer les Roi Lear. On se sent soudain complice d’une longue mystification qui s’achève en un royal pied-de-nez, mais c’était trop beau. Marcel ne peut s’arrêter là, il faut alors qu’il nous reparle de lui et nous explique doctement comment et pourquoi il va devenir écrivain. La chute est ratée, la fête est finie.

 Que faut-il admirer chez Proust ? Je ne le sais toujours pas et les fréquents allers et retours entre l’œuvre condensée et l’œuvre in extenso ma laissent encore plus perplexe.

Est-ce cette vision d’un monde « d’invertis », comme il appelle le plus fréquemment les adeptes de Sodome et Gomorrhe ? Je crois qu’il y a pourtant là de quoi briser toute vocation : ce ne sont qu’histoires d’argent, histoires presque toujours exemptes d’amour, histoires de gens de bonne société qui se paient des garçons d’ascenseur et des lessiveuses. Il est d’ailleurs piquant de noter que l’auteur, si prompt à se mettre habituellement au centre de son récit, se tient soudain bizarrement en retrait. La mémoire, la chère mémoire, lui ferait-elle soudain défaut ?

Est-ce cette capacité de marathonien à tenir trois mille pages sur un sujet aussi minuscule ? J’ai du mal à admirer cette attention d’entomologiste à noter le moindre battement d’aile d’une termitière épuisée.

Est-ce cette formidable persistance à nous intéresser aux états d’âme d’une personnalité aussi vaine ? Je n’ai pas su me passionner pour un individu dont le seul ressort semble être de vouloir ce qu’il ne veut pas, de ne pas vouloir ce qu’il veut, de n’aimer que ce qui le fuit, et de fuir qui l’aime. J’admire en revanche cette capacité à rendre très complexes des idées d’une extrême simplicité, voire d'une grande platitude (En gros :  parfois les choses nous rappellent quelque chose – l’art ça crée des émotions – l’amour, c’est plus ou moins compliqué selon les jours, – souvent, les disparus nous manquent – les femmes sont parfois menteuses ).

Je ne sais pas. Je ne comprends pas. Je ne comprends guère le narrateur *. J’ai fini par le comprendre, en une fulgurance, quand il décrit, dans la Prisonnière, la façon dont Marcel découvre Albertine endormie tout habillée sur son propre lit. Il s’allonge à côté d’elle, l’enlace, l’embrasse (Elle a le sommeil lourd, Albertine, ou elle fait bien semblant, la pauvre), puis, toujours à côté d’elle, sa jambe pendant contre la sienne avec une oscillation légère, Marcel prend son plaisir. « Il me semblait à ces moments-là que je venais de la posséder plus complètement, comme une chose inconsciente et sans résistance de la muette nature ».

Finalement, c’est ça, Proust. C’est très simple et je n’ai plus besoin d’en parler**. Et voilà pourquoi je préfère la Sicile.

La prochaine chronique ne parlera cependant pas de la Sicile. Elle aura pour sujet « Comment se faire éditer ». Préférez-vous que je traite le sujet de façon proustienne ou de façon normale ?

·     Oui, je sais, le narrateur n’est pas Proust, pas du tout du tout. Dans ce livre, « il n’y a pas un seul fait qui ne soit fictif, pas un personnage ‘à clefs’, tout a été inventé par moi selon les besoins de ma démonstration ». Il se trouve simplement que, lorsque le narrateur a besoin de se donner un prénom, il choisit Marcel. C’est donc de Marcel que je parle, pas de Proust. Entre nous, ce ne sont quand même que minauderies de coquette derrière son éventail.

   **   Je vais cependant lire Clopine Trouillefou qui sera certainement très intéressante.

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