On ressort de la séance complètement épuisé. Le film de Léa Fehner donne le tournis. Elle nous parle de son vécu, de sa propre expérience au sein d'une troupe de théâtre itinérant, où ses parents et elle ont pu côtoyer des personnalités bigger than life.
Comme dit dans le synopsis, son long-métrage tire son nom de l'impressionnante capacité qu'ont ces comédiens à dévorer la vie, autant que leur entourage. Ce sont des monstres, des ogres, des personnages qui ne font jamais les choses à moitié, toujours dans la représentation, l'exagération et la démesure. Des êtres complexes bourrés de certitudes autant que de doutes, égoïstes mais totalement généreux, des gens assoiffés de liberté mais qui se sont créés leur propre prison. En dirigeant sa propre famille à l'écran, ainsi qu'une majorité d'artistes itinérants, Léa Fehner ajoute une touche de vérité. Un côté documentaire dans lequel il est quasi impossible de séparer le vécu de l'imaginé et l'improvisation du respect du texte à la virgule. Comme si le tout était pris sur le vif. Un réalisme que l'on doit aux nombreux plans séquences, qui, à l'instar de Birdman, sont ultra efficaces pour illustrer la folie et l'énergie de cette troupe de comédiens. D'une manière générale, la réalisatrice parvient parfaitement à capturer ces petites tranches de vie quotidienne en immergeant complètement ses spectateurs.
Le film est très long, mais sa durée nous semble indispensable pour comprendre où Léa Fehner veut en venir. Elle nous fait détester ses personnages, nous oblige à rester au plus près de leur intimité, nous dévoile leurs travers, leurs petites bassesses, puis, sans trop forcer le trait, elle " casse " leur image, nous apprend à dépasser nos préjugés et nous met littéralement à la place d'un membre de cette joyeuse troupe. Ainsi, alors que l'on se demandait sans arrêt pourquoi tous ces gens continuaient de vivre ensemble puisqu'ils semblaient tous se mépriser autant, l'on finit par comprendre le lien qui les unit. Et lorsque la chanson finale démarre, tandis que chacun se retrouve et s'entre-aide, l'on prend conscience que l'on s'est attaché à eux. Et que ce que l'on pensait être une histoire somme toute pleine de rebondissements, de crises, de rires, un peu unique, n'est en fait qu'un récit parmi tant d'autres. Des marginaux, vivant de leur passion, énervants et désinhibés, au talent incontestable et se soutenant dans l'adversité. Ils ne peuvent pas vivre en solitaire mais ils ne peuvent pas vivre en société, ils cherchent l'indépendance mais ils font tout ensemble.
Les Ogres nous parle de l'ambivalence d'un milieu où toutes les émotions sont exacerbées, où la liberté est en réalité factice, où les blessures sont masquées derrière une couche grossière de maquillage.
Le film de Léa Fehner est une œuvre sincère.
Les Ogres
Ils vont de ville en ville, un chapiteau sur le dos, leur spectacle en bandoulière. Dans nos vies, ils apportent le rêve et le désordre. Ce sont des ogres, des géants, ils en ont mangé du théâtre et des kilomètres. Mais l'arrivée imminente d'un bébé et le retour d'une ancienne amante vont raviver des blessures que l'on croyait oubliées. Alors que la fête commence !