Décidément Culture Business Paris 2016 aura été riche en rencontres. C’est au détour d’une table ronde sur la réussite de projets par la mobilisation interne que j’ai été amenée à échanger un peu plus avec Chouna Lomponda, responsable de la communication et porte-parole du Musée Juif de Belgique.
Musée Juif de Belgique, ce nom vous dit sûrement quelque chose. Soit parce que vous avez eu la chance d’aller à Bruxelles découvrir leur exposition permanente autour de témoignages de la communauté juive et de la reconstitution de la schoule Beth Israël (petite synagogue), soit malheureusement parce que vous en avez entendu parler lors de l’attentat du 24 mai 2014 qui aura fait quatre victimes, deux visiteurs, une bénévole et un préposé à l’accueil. Le musée ouvrira d’ailleurs à cette occasion un livre de condoléances en ligne.
Bien que l’attentat s’est révélé être une situation dramatique pour le musée, ce dernier a refusé de jouer le jeu de la victimisation et a pris le parti de la pédagogie afin de poursuivre sa mission d’ouverture. C’est ainsi qu’il a accueilli en juillet 2015 pas moins de 5 700 coureurs du Brussels DH Urban Trail au sein de ses salles d’expo.
Des gens qui courent dans un musée ?
Pari fou ? Un peu, mais quand on connaît mieux l’Urban Trail de Bruxelles, le lien est vite fait. L’Urban Trail est un événement à la fois sportif et culturel qui consiste en une balade ludique (et sportive) basée sur la découverte de la ville, de Bruxelles notamment, mais cette manifestation existe également dans d’autres villes belges.
Brussels DH URBAN Trail au Musée Juif de Belgique. Crédit: Philippe Geenen
Dans une situation d’après-attentat, mû par ses valeurs d’échanges et de partage et par un désir de toucher de nouveaux publics, le Musée Juif de Belgique a souhaité en devenir un partenaire majeur. Cependant, il était primordial que les règles de sécurité soient respectées, même si la découverte du musée par les participants devait se faire au pas de course. C’est ainsi que les Divas du Gazon ont accueilli 5 700 participants qui faisaient la queue dans la cour du musée pour passer la sécurité par des chants yiddish a capella. Après ce temps fort permettant d’oublier l’attente (un peu longue), ce ne sont pas moins de 5 700 participants qui ont le plus simplement du monde déboulé dans les salles d’exposition du musée et découvert l’exposition temporaire sur Henri Cartier-Bresson accrochée à cette époque.
Brussels DH URBAN Trail au Musée Juif de Belgique. Crédit: Philippe Geenen
Vous vous en doutez sûrement, cet événement a eu un énorme succès. Non seulement, le souhait du musée de rebondir après les attentats a été exaucé, mais les contraintes de sécurité de l’institution ont été respectées et cette dernière a même réussi à toucher de nouveaux publics flamands et touristes. En effet, souligne Chouna Lomponda, le Musée Juif de Belgique est un musée dépendant de la communauté française de Bruxelles. Peu de belges flamands, et encore moins de touristes, y mettent les pieds.
Brussels DH URBAN Trail au Musée Juif de Belgique. Crédit: Philippe Geenen
Quel accueil en interne ?
L’accueil interne du projet n’a pas été très simple, comme on peut s’en douter. Le concept ne plaisant pas à tout le monde, le musée n’ayant jamais eu l’habitude faire de communication événementielle avant 2011, Chouna Lomponda a donc pris le parti d’avoir des alliés au sein de l’institution. C’est ainsi que le président du musée l’a soutenue ainsi que Pascale Alhadeff, conservatrice du musée, qui, convaincue, a apporté une aide précieuse lors de la défense du projet auprès du comité scientifique (il y a trois conservateurs au MJB). Au-delà du casse-tête sécuritaire auquel l’Urban Trail conduisait (le MJB a travaillé très étroitement avec la police de Bruxelles), le musée a pu voir ses efforts récompensés grâce aux retombées médias et la notoriété faisant suite à l’événement. L’institution étant un OSBL (organisme sans but lucratif, l’équivalent de nos associations loi 1901 en France ou des OBNL au Québec), tout coup de projecteur sur son dynamisme et ses collections est bon à prendre !
Selon Chouna Lomponda, les effets se sont fait ressentir longtemps et ont été facilement comptabilisables. C’est ainsi que le musée a accueilli 30 000 visiteurs en 2015, alors qu’il bénéficiait d’un visitorat moyen de 7 000 personnes par an et de 11 000 personnes avant attentat. Le succès de la stratégie de communication sur le web du musée s’est également fait sentir. Pendant la Nuit Blanche en 2011, le musée a ainsi accueilli 7 000 visiteurs et l’Urban Trail couplé à ce dernier événement a permis au MJB de rajeunir et de diversifier son visitorat. Près de 5 000 personnes ont découvert la page Facebook du musée. Ces visiteurs virtuels deviennent également des visiteurs effectifs (quand le MJB organise des événements, il recoupe ses listes avec les personnes s’étant inscrites en ligne). 4 500 personnes étaient abonnées à la lettre d’information du musée avant l’attentat, ce sont aujourd’hui 10 000 personnes qui suivent son actualité !
Brussels DH URBAN Trail au Musée Juif de Belgique. Crédit: Philippe Geenen
Malheureusement, tous les visiteurs n’ont pas découvert le musée via l’événement de l’Urban Trail. Une partie d’entre eux a entendu parler du MJB suite aux attentats à Bruxelles. Qu’à cela ne tienne ! Le musée entre aussi en résonance, avec humour, avec les attentats et la tuerie de Charlie Hebdo avec une exposition sur les Mondes de Gotlib pour les 80 ans de l’artiste.
Quels projets pour le futur ?
Le musée s’est lancé dans de grands travaux pendant deux ans. Le bâtiment va en effet être démoli et reconstruit. Durant cette période de fermeture partielle, le musée tient encore et toujours à faire tomber les tabous sur le judaïsme (non, il n’y a pas que des juifs qui travaillent dans le musée ; non il ne faut pas être juif pour visiter le musée) mais également à inclure les liens existant entre la culture et la religion juives avec d’autres (l’Islam par exemple) afin de coller à ses missions de défendre l’ouverture, le mieux vivre ensemble et la diversité.
Le musée porte aussi ses collections au-dehors du bâtiment dans des lieux que les gens fréquentent au quotidien et dans lesquels ils ne seraient peut-être pas habitués à rencontrer ces collections. Lors du Printemps du Sablon, le public a ainsi pu découvrir des œuvres dans des lieux aussi insolites que chez le Chocolatier Marcolin ou dans un concessionnaire… Le pari du musée ? Si le public ne vient pas aux œuvres, elles iront vers lui.