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Damien Odoul ou la vie sauvage

Publié le 20 mars 2016 par Pantalaskas @chapeau_noir

"Les Visions"

Cinéaste remarqué, récemment distingué par le prix Jean Vigo 2015 pour son film La peur, Damien Odoul s'est vu remettre cette récompense par Agnès Varda. Découvrant "Les Visions", l'exposition de cet artiste à la galerie Laure Roynette à Paris, un tel parrainage ne me semble pas anodin.  Photographe, réalisatrice, plasticienne, Agnès Varda, de la Nouvelle vague à la Biennale d'art contemporain de Lyon, a tracé un parcours rare dans la création contemporaine. Aujourd'hui, Damien Odoul montre à son tour un intérêt marqué pour cette approche multiforme de l'art. L’exposition "Les Visions" se compose d'un ensemble comprenant dix photographies, un dispositif sonore qui diffuse le poème du milieu 88 et une vidéo inédite réalisée par le cinéaste.

Vision Damien Odoul

Vision Damien Odoul

On apprend que Damien Odoul, qui vit la plupart du temps en Lozère dans un massif forestier au cœur du Parc National des Cévennes, partage depuis son enfance une relation privilégiée avec la nature et plus particulièrement la forêt : " Dès son adolescence, son oncle lui a appris le maniement de la tronçonneuse et des outils de la forêt."
Cette relation au monde s'opère avec la volonté de dépasser une réalité contraignante : la nature est devenue lieu d'exploitation, asservi aux exigences techniques, industrielles. Comment alors "habiter poétiquement la forêt tout en sachant qu’elle est devenue lieu d’exploitation et de production de masse ?"

Damien Odoul ou la vie sauvage

Vidéo originale de Damien Odoul pour l'exposition "Les Visions"

Une autre composante  apparaît dans l’œuvre cinématographique de Damien Odoul. "La peur" (que je n'ai pas eu l'occasion de voir), primé par le prix Jean Vigo  «pour sa façon de filmer la folie de la guerre comme un théâtre de la cruauté », est décrit comme ne laissant aucun espoir à ses personnages, scène où la peur parait éternelle. Dans son court-métrage La maison des morts, filmé en Suisse dans le canton des Grisons, les villageois se recueillent sur les tombes de leurs ancêtres, tout près de “la maison des morts". Dans ce dernier film, l'approche cinématographique n'est pas sans rappeler celle des grands documentaristes qui, de Mario Ruspoli à Jean Rouch, ont signé le meilleur du "cinéma-vérité". La caméra de Damien Odoul semble aimantée par ce vertige de la mort et c'est peut-être là une grille de lecture possible pour son expérience de photographe. Car la vision de la forêt dans laquelle il s'est immergé pour réaliser ses clichés passe par l'émotion d'un regard qui semble désemparé.

"Sylvart"

Si la forêt réelle ne ressemble plus à celle de notre enfance, si la nature dénaturée se plie à l'asservissement dicté par le système marchand, comment dépasser ce constat accablant ? Le photographe met en œuvre le projet "Sylvart" : à l'aune de la nature, l'objectif est de produire un travail instinctif et archaïque où la codification sociale perd son pouvoir pour laisser place à l’énergie créatrice." Il s’agit en cela, explique-t-il, d’une expérience de vie en totale autarcie, référence directe à "Walden ou la vie dans les bois" de Henry David Thoreau."

Vision Damien Odoul

Vision Damien Odoul

Cet objectif naturaliste ne peut donc se satisfaire d'une captation réaliste. Il lui faut dépasser ce réel pour atteindre, avec des moyens inédits, cette "vision" qu'il montre aujourd'hui : "Au moment d’appuyer sur le déclencheur, il fait jaillir la force interne (fa-li) issue de la pratique des arts martiaux qui apporte ce mouvement flou et fluide à chacune des images". Je m'en remets aux connaisseurs des arts martiaux pour évaluer cette pratique énigmatique pour les béotiens.
Habiter poétiquement la forêt ne se restreindrait donc pas à une approche littéraire et artistique mais, dans la démarche de Damien Odoul, impliquerait une prise de position philosophique où le recours à ce travail instinctif et archaïque renvoie presque au mythe du bon sauvage avec l'idéalisation de l'homme à l'état de nature. Il faudra suivre Damien Odoul  dans ses projets pour mieux cerner les contours de cet impérieux besoin : établir une nouvelle relation de l'homme au monde.

Photos Damien Odoul et Galerie Laure Roynette

"Les Visions"  Damien Odoul

Du 17 mars au 23 avril 2016
Galerie Laure Roynette
20 rue de Thorigny
75003 Paris


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